La délimitation de la frontière maritime entre le Liban et Israël.

Article d’Anis Nassour. Ecrit en décembre 2022.

Mots clés : Liban, Israël, Délimitation Maritime, Frontières Maritime, Lignes de démarcation, Michel Aoun, Yair Lapid, Hezbollah, Benjamin Netanyahu, Amos Hochstein, Frederic Hof, Hassan Nasrallah, Chypre.

Le Liban et Israël ont conclu le jeudi 27 octobre 2022 un accord sur la délimitation maritime dans la Mer Méditerranée. De nombreuses tentatives diplomatiques ainsi que plusieurs lignes de démarcation ont été proposées durant ces dernières années, mais c’est la ligne 23 présentée par la médiation états-unienne dirigée par Amos Hochstein, envoyé spécial et coordinateur des affaires énergétiques internationales des Etats-Unis, qui a été retenue.

Contextualisation et les différentes lignes de démarcation.

Le Liban, petit pays situé sur la côte Est de la mer Méditerranée, a signé la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (rédigée le 10 décembre 1982) le 7 décembre 1894 puis a ratifié cette dernière le 5 janvier 1995. Il doit donc respecter l’article 74 de la convention sur la délimitation de la zone économique exclusive des États dont les côtes sont adjacentes ou se font face.

Partageant des côtes qui se font face, le Liban et Chypre signent un accord sur la délimitation de la Zone Économique Exclusive le 17 janvier 2007 basée sur 6 points de démarcation non-ratifiées que vous trouverez sur la carte ci-dessous. L'accord comprend une clause précisant que les coordonnées géographiques des premier et dernier marqueurs (point 1 et 6) peuvent être ajustées en fonction de la future délimitation de la ZEE avec d'autres États voisins (Israël au Sud et la Syrie au Nord).

 Le 29 avril 2009, le Liban fixe sa frontière maritime au Sud sur le point 23 au lieu du point 1. Quelques mois plus tard, Israël et Chypre signent un accord sur les ZEE respectives le 17 janvier 2010 basé sur le point 1 qu’ils enverront aux Nations Unies, sans prendre en compte le point 23 revendiqué par le Liban qui perd environ 850 km2 de territoire maritime touchant aux blocs pétroliers 8,9 et 10. Ce refus libanais de la ligne 1 a été exprimé à l’ancien secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon en 2011 sous la forme du décret numéro 6433 qui précise que le Liban considère le point 1 comme un point de départ provisoire dans les négociations maritimes entre le Liban et Chypre.

En 2011, une délégation états-unienne dirigée par Frederic Hof tente de régler cette dispute maritime en proposant une nouvelle ligne : la ligne Hof qui divise la région contestée par les deux pays ; elle se situe entre la ligne 1 et 23 et donne respectivement au Liban et à Israël 500 km2 et 350 km2 de territoire maritime. Cette proposition a été refusée par le Liban.

Blocages politiques et désaccords au Liban.

Quant à la ligne 29, elle a été évoquée dans le rapport de l’entreprise UK Hydrographic Office en 2011 mais n’a jamais été prise en compte jusqu’en 2018 quand l’armée libanaise publie une étude qui déclare que la ligne 29 est celle qu’il faut adapter et non pas la ligne 23. Dès le début des négociations en 2020, le Liban change soudainement sa position de négociation en revendiquant la ligne 29 au lieu de la ligne 23 admise auparavant. En réponse à Israël et le médiateur américain qui jugent que la ligne 29 n’a jamais été déclarée officiellement par les Libanais, l’ancien premier ministre libanais Hassan Diab approuve l’ajustement frontalier qui va être refusé par le président de la République Michel Aoun. Les raisons de ce refus sont obscures, mais certains opposants du général considèrent que le président Aoun souhaitait mettre la pression sur les Etats-Unis pour qu’ils lèvent les sanctions économiques imposées sur son beau-fils Gebran Bassil, accusé de corruption. En effet, l’opposition libanaise considère que Michel Aoun serait en train de sacrifier l’intérêt national pour ses intérêts personnels. Le général Aoun souhaite à tout prix que son gendre Gebran Bassil lui succède en tant que président ; et c’est dans cette optique qu’il évita de signer le décret présidentiel 6433 qui adopte la ligne 29 (avantageuse au Liban) comme ligne de démarcation officielle, position défendue par l’armée libanaise, car il craint que l’adoption de la ligne 29 serait un succès politique pour le chef de l’armée Joseph Aoun qui pourrait ambitionner à la présidence de la République (comme l’avait fait Michel Aoun lui-même).

Concernant les positions politiques des différents camps au Liban, la situation devient de plus en plus complexe. Paradoxalement, le Hezbollah dirigé par Hassan Nasrallah¹, allié de Michel Aoun, soutient la ligne 29 et a déclaré qu’il serait prêt à une éventuelle intervention militaire contre Israël si le gouvernement libanais le demande. Il considère que le médiateur Amos Hochstein est un agent israélien qui a combattu durant l’occupation israélienne du Liban dans les années 1990. D’après son analyse, Hilal Khashan, politologue, auteur du livre Hezbollah : une mission vers nulle part et enseignant à l’Université Américaine de Beyrouth (AUB), explique que le Hezbollah instrumentalise les richesses pétrolières du Liban pour justifier le maintien de son arsenal militaire, et qu’en réalité, il ne souhaite pas entrer en conflit avec l’armée israélienne mais se contente de mener des discours populistes qui plaisent aux partisans de la résistance islamique ainsi que palestinienne. Dans le contexte d’une crise économique profonde et un isolement du Liban sur la scène internationale, cet accord sauve en quelque sorte le Hezbollah de ces accusations et ce dernier adopte un nouveau discours politique plus ouvert à la coopération. Mais, cela lui coûte cher car l’accord est considéré comme une reconnaissance partielle de l’Etat d’Israël.

Son opposant traditionnel libanais, les Forces Libanaises de Samir Geagea, accusés de complicité avec Israël par le Hezbollah, ne sont pas convaincus par la ligne 29. Les nouvellement élus députés indépendants soutiennent en grande partie la ligne 29.

L’accord en 2022.

Les négociations ont quasiment été oubliées jusqu’au 5 juin 2022 quand une unité d’extraction gazière israélienne arrive au champ gazier de Karish. En ce début d’octobre 2022, les deux États ont signé un accord qui implique la ligne 23 comme ligne de démarcation entre eux. Ainsi, le champ pétrolier de Karish appartient complètement à Israël et le champ de Qana est partiellement retenu par le Liban vu qu’il s’étend au Sud de la ligne 23, imposant à l’opérateur français du bloc 9 TotalEnergies de réserver des redevances aux israéliens (cette clause de l’accord semble être floue et serait potentiellement problématique au futur). Les richesses gazières qui s’étendent sur les deux territoires verront leurs exploitations négociées par les Etats-Unis. Les deux Etats devront envoyer les nouvelles coordonnées de leurs démarcations maritimes officielles aux Nations-Unies dès la confirmation finale de l’accord.

Y’a-t-il un gagnant ?

D’une part, certains considèrent que le Liban est le parti perdant vu qu’il abandonne environ 1400 km2 de territoire assurés par la ligne 29 ainsi qu’une partie du champ de Karish, pour admettre la ligne 23. Mais, l’accord accélère l’exploration des blocs qui pourrait potentiellement attirer des investissements de l’étranger pour traiter partiellement la crise économique. Aussi, l’accord améliore la fiabilité et l’image diplomatique du Liban sur la scène internationale  ;  ce qui pourrait faciliter l’obtention d’aides internationales. En revanche, les revenus potentiels estimés à 6 milliards de dollars sur 15 ans sont loin des 100 milliards de dollars de dette publique. Quant à l’accord en soi, il semble y avoir un certain flou autour des droits de Israël à toucher aux bénéfices du champ de Qana à travers TotalEnergies, vu qu’une partie du champ se situe dans la ZEE israélienne.

D’autre part, en vue des élections prévues le premier novembre en Israël, le premier ministre Yaïr Lapid voit l’accord comme un succès énorme de son mandat. Même si ce dernier cède à la ligne 23 revendiquée par le Liban, Israël sera tout de même recompensé par une partie des bénéfices du champ Qana par TotalEnergies. De plus, l’exploitation du champ de Karish ne pourra plus être une source de menaces du Hezbollah qui auparavant avait menacé de bombarder les installations maritimes israéliennes si l’Etat Hébreu avait commencé des travaux sans l’accord du proxy iranien. Contrairement à Lapid, son opposant conservateur et ancien premier ministre Benjamin Netanyahu critique l’accord en disant qu’il est bénéfique au Hezbollah. Netanyahu, surnommé “Bibi”, gagne les élections le mardi 1er novembre 2022 avec une majorité de 65 sièges sur 120 à la Knesset (avec 32 sièges pour son parti, le Likoud) pour son bloc politique conservateur et il sera chargé de former un gouvernement. C’est le 5ème scrutin législatif en 3 ans et demi en Israël, marquant une instabilité politique ; mais, le retour de “Bibi” pourrait renforcer une nouvelle stabilité dans le pays.

Cet accord historique permet d’établir des liens économiques entre Israël et le Liban (Hezbollah inclus) et, par suite, garantir une certaine paix entre les deux pays. Nous pouvons faire un parallèle avec la déclaration de Robert Schuman de 1950 qui met en place une solidarité industrielle entre la France et l’Allemagne autour de la production de charbon et d’acier, promouvant une interdépendance entre les deux. Quant au contexte international, les gisements gaziers du champ de Karish pourraient remplacer partiellement le gaz russe dont dépend une grande partie de l’Europe, diminuant les conséquences économiques de la guerre d’Ukraine sur les prix.

Référence artistique.

Voir la chanson “Ahibba’i” احبائي de Julia Boutros, chanteuse chrétienne libanaise qui reprend les mots du discours de Hassan Nasrallah faisant l’éloge des guerriers du Liban Sud et rend hommage au mouvement de résistance du Hezbollah.

Bibliographie.

“Négociation de la délimitation des frontières maritimes sud du Liban : Espoirs et Déboires.” Négociateurs Sans Frontières, 28 Mars 2022, https://www.negociateurs-sans-frontieres.fr/negociation-de-la-delimitation-des-frontieres-maritimes-sud-du-liban-espoirs-et-deboires/.

Rovri, Sébastien. “La négociation de la frontière maritime israélo-libanaise : droit international et intérêts géopolitiques”. Revue Défense Nationale. 2021. Pages 96 à 101.

“Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer de 1982”. Treaties United Nations. New York, 1995.

“Les dessous du nouveau litige frontalier entre le Liban et Israël - Sibylle Rizk.” Commerce du Levant, 2 Sept. 2011, https://www.lecommercedulevant.com/article/19336-les-dessous-du-nouveau-litige-frontalier-entre-le-liban-et-isral.

“LCPS - GOVERNMENT MONITOR | Lebanon’s Southern Maritime Border Dispute: The Amendment of Decree No. 6433.” LCPS, https://www.lcps-lebanon.org/articles/details/2457/government-monitor-|-lebanon’s-southern-maritime-border-dispute-the-amendment-of-decree-no-6433. Accessed 16 Nov. 2022.

Abou Zeid, Bassam. “Le Liban face aux lignes maritimes 23 et 29.” Ici Beyrouth, 20 Feb. 2022, https://icibeyrouth.com/liban/38047.

Luca, Ana Maria. “Wasted Opportunities.” Nowlebanon, 10 juin 2022, https://nowlebanon.com/wasted-opportunities/.

Marsi, Federica. The Israel-Lebanon Maritime Border Deal Explained. https://www.aljazeera.com/news/2022/10/14/what-to-know-about-the-israel-lebanon-maritime-border-deal. Accessed 16 Nov. 2022.

“Accord entre Israël et le Liban sur la délimitation de la frontière maritime.” elysee.fr, 15 Oct. 2022, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/10/15/accord-entre-israel-et-le-liban-sur-la-delimitation-de-la-frontiere-maritime.

“Total renforce sa position en Méditerranée avec l’entrée dans deux blocs d’exploration au large du Liban.” TotalEnergies.com, https://totalenergies.com/fr/medias/actualite/communiques/total-renforce-position-mediterranee-entree-deux-blocs-exploration-large-liban. Accessed 16 Nov. 2022.

“The Maritime Border Dispute between Lebanon and Israel Explained.” Middle East Strategic Perspectives, 5 Mar. 2018, https://www.mesp.me/2018/03/05/maritime-border-dispute-lebanon-israel-explained/.

 

 

 

 

Précédent
Précédent

Le conflit israélo-palestinien : contextualisation historique et actuelle.