Le développement sportif dans les monarchies du Golfe.
Auteur : Nael El Kihal.
Mots clés : Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Qatar, Mohammed Ben Salmane, Mohammed ben Zayed, Hamad Al Thani, Al Nassr, PSG, Manchester City, Sport Cities, Soft Power, Coupe du monde, NEOM, Lusail, Dubai city sport, Vision 2030, Qiddiya, sportwashing.
Le 30 décembre 2022, le club de Football Saoudien d’Al Nassr annonce la signature de Cristiano Ronaldo, véritable légende du ballon rond. La signature de l’un des plus grands joueurs de l’histoire, voir du plus grand, est une véritable réussite pour le Soft Power Saoudien. Ce club de Riyad fondé en 1955 est soutenu de très près par le pouvoir saoudien. Cette signature s'inscrit dans la logique du pouvoir saoudien de développer le sport afin d’en faire un outil de rayonnement international. D’autres pays du Golfe adoptent la même politique de développement sportif comme les Émirats arabes unis et le Qatar. Pour ces monarchies, le sport devient un secteur essentiel où les investissements prennent de plus en plus d’ampleur au cours des dernières années. Alors que l'économie de ces pays, basée sur la rente pétrolière et/ou gazière tend à s'essouffler, le sport apparaît comme un levier intéressant et une opportunité à saisir pour ces pays en quête de rayonnement international. De plus, à l'heure où la puissance ne passe plus forcément par le hard power, entraînant conflits et violences, le sport apparaît comme un vecteur considérable pour le rayonnement culturel de ces pays. Le soft power que génère le sport se révèle être au cœur des manœuvres politiques de Riyad à Doha en passant par Abu Dhabi pour imposer leurs influences sur l'échiquier mondial.
Aujourd'hui, dans ces monarchies du Golfe en quête d’affirmation sur la scène internationale, comment les investissements dans le développement sportif visent à accroître leurs rayonnements économiques et géopolitiques ?
Nous observerons d’abord les événements sportifs mondiaux organisés dans le Golfe et les investissements de ces monarchies pour leurs développements sportifs à travers un focus sur le football et la formule 1 notamment, puis nous analyserons les objectifs de ces Etats; de l’Arabie Saoudite au Qatar en passant par les Émirats arabes unis ; pour enfin nous pencher sur les perspectives de ces investissements dans les années à venir.
Des monarchies qui s’imposent comme hôtes d’événements sportifs mondiaux :
Depuis une décennie, ces monarchies accueillent de plus en plus de compétition sportive mondiale. Le Qatar s’impose comme un grand hôte avec les mondiaux de natation au Qatar en 2014 ou ceux d'athlétisme en 2019 à Doha [1]. La coupe du monde de football de novembre-décembre 2022 vient signer l'apothéose de sa réussite sportive. En dehors de toutes les polémiques liées à la situation catastrophique des travailleurs immigrés, du problème climatique ou bien encore de l’attribution sous fond de possibles corruptions en 2010 [2], l’organisation purement sportive du mondial est une réussite pour le Qatar. Sur le plan seulement sportif, la coupe du monde est un succès, offrant aux téléspectateurs du monde entier un spectacle sportif de qualité. Ce succès s’illustre à travers les fortes audiences [3], en dépit de nombreux appels au boycott, qui témoignent de l’engouement autour de l'événement. Le bilan sportif s'avère très positif d'après différents acteurs du monde footballistique, que ce soit Gianni
Infantino, président de la FIFA ou à travers le corps arbitral l'arbitre française Stéphanie Frappart [4]. Emmanuel Macron a également affirmé que « Le Qatar l’organise très bien cette coupe » le 14 décembre 2022 ]5]. Cette déclaration, bien qu’elle fasse réagir, illustre un sentiment partagé par divers téléspectateurs concernant le déroulement sportif du mondial. France 24 [6] illustre d’ailleurs la réussite de l’organisation, sans bien évidemment omettre les limites et les problèmes que soulève l'organisation du mondial au Qatar, quant aux droits LGBTQ + ou l’impact climatique.
Face aux critiques extras sportives, le Qatar a répondu présent sur les attentes sportives et à montrer qu’il était possible pour un pays du Golfe d'organiser un événement sportif et d’obtenir des retombées sportives satisfaisantes.
Ceci peut alors donner des idées à d’autres pays de la région. C’est par ailleurs le cas avec la possible candidature de l’Arabie Saoudite pour l’organisation du mondial de 2030 en collaboration avec l’Égypte et la Grèce [7]. L’Arabie Saoudite est déjà organisatrice de grand événement sportif comme le rallye Dakar à quatre reprises déjà avec une nouvelle édition en 2023 [8].
Développement de “Sport Cities” au sein du Golfe :
Afin d'accueillir le plus d'événement possible, les Etats du Golfe investissent dans l'urbanisme dans le but de créer des “Sports Cities”. Ces villes servent de véritables lieux d’accueil à de grandes compétitions, comme le cas de la ville de Lusail, à 15 km au nord de la capitale Qatari [9]. Dans cette ville se situe le circuit automobile de Lusail qui accueille la formule 1, mais c’est également ici que s’est déroulée la finale de la coupe du monde 2022 dans le stade de Lusail [10]. Ceci s’inscrit dans la politique de développement urbain pour assurer le développement du sport comme le souhaite l'émir Hamad Al Thani depuis 2008. On assiste à la même logique chez ses voisins avec la Dubaï Sport City aux Émirats arabes unis depuis 2004. Cette dernière comporte également de multiples infrastructures internationales comme l’Emirates Golf club ou le stade Mohammed Ben Zayed. L’Arabie Saoudite n'échappe pas à ce développement, mais en misant aussi sur les sports d’hiver. En effet, le projet urbanisme de NEOM prévoit en son sein une région montagneuse, celle de Trojena, où les sports d’hiver seraient possibles [11]. L'objectif est de développer une véritable station de ski dans les montagnes saoudiennes pour accueillir également des compétitions internationales. C’est notamment le cas avec l'attribution des Jeux Olympiques d’hiver asiatique en 2029 en Arabie Saoudite [12]. Bien que cette compétition hivernale se déroule dans une région désertique, suscitant de nombreuses critiques, les dirigeants saoudiens comme Nadhmi al-Nasr [13], directeur du projet NEOM (où se déroulera la compétition dans la partie montagneuse de Trojena) assurent que la compétition se déroulera dans des conditions climatiques adéquates. Les dirigeants saoudiens veulent montrer qu’ils peuvent organiser une compétition d’une telle ampleur comme leurs homologues du Golfe.
Focus sur leurs investissements dans les clubs de football européens :
De plus, afin de peser sur la scène footballistique mondiale, Arabie Saoudite, Qatar et Émirats arabes unis n'hésitent pas à investir fortement dans le football de club en Europe. Aujourd’hui, les rivalités entre ces pays se transposent sur le rectangle vert. C’est notamment le
cas des confrontations entre le Paris Saint-Germain, détenu par le Qatar, et Manchester City, détenu par les Émirats arabes unis. Le PSG est détenu par le Qatar depuis son rachat en 2011 par le fonds d’investissement Qatar Sport Investment à hauteur de 30 à 40 millions d’euros [14]. Depuis, le fond Qatari investit des millions pour signer de grands joueurs comme Neymar à 222 millions d’euros, ou Mbappé à 180 millions d’euros. Le but pour l'Émir, faire du PSG une vitrine du rayonnement sportif Qatari. De plus, afin d’assurer le rayonnement du Qatar à travers le sport, le groupe Bein Sport [15], Qatari, diffuse une grande partie des grandes compétitions sportives de football, mais également de Tennis ou de Basket. Sa présidence est assurée par nul autre que Nasser Al-Khelaifi, président du PSG par ailleurs.
Face à ces investissements astronomiques, les Émirats arabes unis ne sont pas en reste avec le rachat de Manchester City en Angleterre en 2008 par Mansour Ben Zayed Al Nahyane, vice-premier ministre des Émirats arabes unis. Depuis, le club détenu par Abu Dhabi a dépensé près de 1,170 milliards d’euros depuis 2011 [16], ce qui en fait le club le plus dépensier de la décennie. Lorsqu’il s’agit de réussite sportive, Abu Dhabi ne compte pas et dépense fortement pour remporter, avant son rival Qatari, sa première Ligue des champions, trophée ultime pour un club européen. Derrière les rivalités sportives entre le PSG et Manchester City qui s’imposent comme deux grandes écuries européennes, se trouve une rivalité politique entre Doha et Abu Dhabi. Ces deux États se livrent une bataille sportive, mais aussi politique, dans l'objectif de rayonner davantage que son voisin. Bien que l’Arabie Saoudite fut longtemps en retrait de cette course, malgré de nombreuses rumeurs concernant un possible rachat de l’Olympique de Marseille ou Manchester United, elle a récemment investi aussi dans un club européen. Ce fut le cas en octobre 2021 avec le rachat pour 330 millions de Livres du Club anglais de Newcastle [17]. Ici aussi, Riyad investit réellement dans un club européen afin de le développer.
On assiste alors à l'émergence depuis une dizaine d'années à d'importants investissements de ces monarchies du Golfe dans le football de club européen. L'objectif est de faire de ces clubs des vitrines de leur soft power grâce à leur rayonnement international. Les États du Golfe ont saisi l'intérêt de posséder un club de football, car ce sont des outils intéressants pour imposer leur influence à travers le monde entier grâce à "l’entertainment" autour de ces clubs. Ce sont des marques qui agissent alors en égérie de ces pays et propage leurs influences dans le monde entier grâce à la vente de maillot par exemple où figure souvent des sponsors de ces pays comme Qatar Airways [18] ou Fly Emirates [19].
Focus sur le développement de la Formule 1 dans le Golfe :
Depuis une dizaine d'années, nous assistons à l'émergence de la Formule 1 au sein du Golfe. Arabie Saoudite, Qatar, Émirats arabes unis et même Bahreïn investissent massivement pour accueillir des grands prix sur leurs terres. C’est le cas dans la capitale émiratie où se déroule depuis 2009 le Grand Prix d’Abu Dhabi. Afin d’accueillir un tel événement, pour la deuxième fois au sein du Golfe après le Bahreïn depuis 2004, l’État émirati dû débourser 55,4 millions de dollars à Formula 1 management en 2009 [20]. Un tel investissement illustre l’implication de l’État pour s’imposer dans le monde très fermé des pays accueillant un grand prix. En effet, aujourd’hui, la plupart des grands prix se déroulent en Amérique du Nord et en Europe. Cependant, le Golfe s’impose depuis comme un nouveau pôle. C’est en partie le cas depuis que le Qatar organise un Grand Prix depuis 2021 tout comme l’Arabie Saoudite la même année à Djeddah. L’Arabie Saoudite investit d’ailleurs fortement à travers le projet d’urbanisme de
Qiddiya, véritable “Sport Cities” à 40 km de la capitale Riyad. Au cœur de ce projet doit voir le jour un nouveau circuit destiné à remplacer Djeddah [21]. Ce projet veut s’imposer comme un circuit de référence pour la Formule 1. Ceci permettrait alors à l’Arabe Saoudite de s’affirmer davantage dans ce secteur où ses investissements ne manquent pas. En effet, l’État, par le biais de son géant pétrolier Saudi Aramco, sponsorise la Formule 1 à hauteur de 44 millions d’euros sur un contrat de 2020 à 2030 [22]. Les monarchies du Golfe deviennent alors des acteurs considérables qui pèsent sur la Fédération internationale Automobile. La preuve en est puisque depuis 2021 sa présidence est assurée par l’émirati Mohammed Ben Sulayem [23]. Ainsi, le Golfe devient un acteur incontournable du monde de la F1, remettant en question l’hégémonie de l’Europe occidentale et de l'Amérique du Nord qui contrôlaient alors le monde de l'automobile.
Un développement sportif pour satisfaire différents objectifs :
Aujourd'hui, l'économie de ces pays est principalement basée sur les hydrocarbures. C’est le cas de l’Arabie Saoudite où 42% de son PIB en 2021 provenait de l'économie pétrolière [24]. Face à cette dépendance, qui ne durera pas, les monarchies pétrolières veulent diversifier leur économie. Une des stratégies est d’investir dans le sport pour créer de nouvelles sources de revenus économiques. Alors, ils misent sur l'organisation de grandes compétitions. Par exemple, pour les revenus de la coupe du monde au Qatar, bien qu’il soit encore tôt pour trouver une estimation des recettes, le Qatar prévoyait avant la compétition des recettes à 17 milliards de dollars [25]. L’objectif est d’ensuite injecter cet argent dans l'économie pour développer d’autres projets sans dépendre du gaz.
De plus, ce développement sportif permet d'accroître le tourisme qui fait aujourd'hui office d’un véritable levier pour ces économies en transformation. C’est le cas par exemple avec l'organisation des JO d’hiver asiatique dans les stations de ski de NEOM qui vont promouvoir cette station de ski. Ainsi, l’organisation de ces événements peut et devrait avoir un impact sur le long terme pour les économies de ces pays puisque ces événements font la promotion de ces pays et attirent alors de nombreux touristes.
Ces derniers changent d’ailleurs de vision sur ces monarchies, que ce soit grâce aux publicités ou aux voyages pour assister à des événements sportifs. Par exemple, de nombreux supporteurs lors de la coupe du monde au Qatar ont affirmé que la compétition s’est bien déroulée avec un bon accueil du pays hôte [26]. La vision de certains supporters occidentaux a évolué positivement suite à leur venue à Doha pour la coupe du monde. Ces événements agissent comme de véritables vitrines qui viennent promouvoir ces pays pour attirer des touristes. C’est l’un des grands objectifs pour ces pays souhaitant créer une image attractive de leur pays et de sa culture. Ces monarchies veulent en finir avec une certaine vision arriérée de leurs pays en promouvant la modernité à travers ces événements. On parle alors de “Sportwashing”. Ce sont des biais pour montrer au monde leurs développements et leurs ouvertures, bien qu’on assiste à de nombreuses contestations par rapport à la question des homosexuels durant le mondial au Qatar. Dans l’idée d’agir comme des pays maintenant respectables sur la scène internationale, ces monarchies veulent de plus en plus s’affirmer internationalement grâce au soft power que génère le sport. Ceci leur permet de pouvoir peser dans les rapports mondiaux et d’agir en acteurs incontournables dans le monde du sport. Ces monarchies tendent à utiliser le soft power qui émane du sport pour supplanter le pouvoir des hydrocarbures sur la scène internationale qui
vient à s'essouffler. Ainsi, ce développement sportif permet de diversifier les revenus économiques et également de diversifier leurs pouvoirs d'influence sur l'échiquier mondial.
Des perspectives radieuses pour le développement sportif dans le Golfe dans les années à venir ?
Ainsi, nous pouvons penser que le développement sportif peut s'inscrire dans le long terme dans ces pays qui n’ont pourtant pas un large passif dans ce domaine. Mais grâce aux efforts de ces monarchies, le sport s’impose dans la région et dans les diverses franges des sociétés. C’est notamment le cas en Arabie Saoudite avec le développement du sport féminin à travers le football [27]. On assiste alors à l'émergence d’une culture sportive dans ces pays, qui augmente au fil des événements sportifs.
Alors ce développement peut laisser penser que le sport va également occuper une place de plus en plus importante dans l'économie de ces monarchies dans le but de supplanter l'économie des hydrocarbures, venant à s'essouffler. Le sport peut, et doit d’ailleurs, s’imposer comme un revenu considérable pour ces pays, en étroit lien avec le tourisme qui figure d’ores et déjà comme un secteur important. En effet, on constate à travers les politiques de développement de ces pays, comme le projet Vision 2030 [28] de Mohammed Ben Salmane en Arabie Saoudite, que le sport et le tourisme font partis des principaux points de la politique de développement du prince héritier.
À terme, ces Etats vont donc continuer de s’imposer sur la scène mondiale sportive en promouvant un certain sérieux et une fiabilité pour organiser de tels événements. Ceci laisse alors penser que ces pays vont continuer de s’affirmer sur la scène internationale dans leur logique de développement de leur puissance, ici par le soft power. L’aboutissement de cette influence pourrait mener à l'organisation de la compétition sportive suprême : les Jeux Olympiques.
Mais un développement sportif possiblement limité :
Cependant, ces perspectives optimistes concernant l'avenir du sport dans le Golfe sont à nuancer. En effet, il existe toujours un obstacle à la réussite de tels événements et à la création d’une image respectable aux yeux de l’occident lorsqu’on se penche sur les problèmes liés aux droits humains. Que ce soit l’Arabie Saoudite ou le Qatar, tous deux sont régulièrement accusés de ne pas respecter les droits humains, à travers l'accusation d’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi [29] organisé par MBS en 2018 ou encore le nombre de travailleurs immigrés sur les chantiers des stades du Qatar pour le mondial [30]. Ces affaires suscitent de fortes critiques du monde médiatique et de l’opinion publique qui vient à mener des campagnes de boycotts comme concernant le mondial au Qatar. Ainsi, bien que les pays du Golfe fassent du développement sportif un objectif majeur, il ne pourra s’accomplir qu’avec une amélioration du respect des droits humains. Sans respecter ces derniers, ils ne tendront probablement pas à s’imposer dans l’imaginaire collectif dans l'organisation de très grands événements sportifs.
Bibliographie :
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https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/L-egypte-la-grece-et-l-arabie-saoudite-songent-a-une-candidature-commune-pour-le mondial-2030/1353151
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