100 ans après la proclamation de la République : quel est le visage de la Turquie ?

Article anonyme. Écrit en décembre 2023

“Je défends la liberté dans mon siècle” avait déclaré Yasar Kemal, poète kurde et turc né en même temps que la République Turque en 1923. Cet homme a dédié son existence à défendre la cause des Kurdes et à dénoncer l’oppression que subit le peuple turc. Il est un fervent défenseur des droits de l’Homme. Il s’est opposé au système féodal, aux crimes d’honneur, aux vendettas, aux injustices sociales. Ce chantre militant a fait preuve de son engagement courageux dans ce pays qui oscille entre modernité et conservatisme, la Turquie. Dès sa fondation, cette dualité n’a cessé de se manifester, parfois très violemment. Nous parlons certes d’une Turquie, mais d’une Turquie divisée, morcelée entre différentes visions du monde, groupes ethniques et cultures qui s'entrelacent et se confrontent inexorablement. De l’effondrement de l’Empire ottoman passant par les réformes de Mustafa Kemal Atatürk pour moderniser le pays, jusqu’à aujourd’hui, cet affrontement atteint progressivement son paroxysme à travers un peuple marquée par une culture, une religion mais aussi par un élan de modernité et d’occidentalisation.

Nous pouvons dès lors être amenés à nous poser la question suivante : 100 ans après la proclamation de la République, quel est le visage de la Turquie ?

Pour cela, après avoir étudié le conflit perpétuel annonçant le climat politique fort tendu en Turquie, nous mettrons en exergue son apogée à travers les élections présidentielles et législatives de mai 2023 et les différents enjeux historiques et actuels qu’ils soulèvent.

I. Le climat politique tendu : un conflit perpétuel

A. Antagonisme présent entre “muhafazakar” “seküler”

“Kızılcık Şerbeti” reste une série marquante de cette année. Elle retrace l’histoire d’amour difficile, parfois chaotique de Doğa et de Fatih. Une histoire d’amour qui est difficile pour plus d’une raison et la principale reste le combat éternel de deux tendances qui n’ont pas cessé en un siècle de se haïr. Doğa vient d’une famille de la classe moyenne, moderne, attachée à la laïcité et à l’Occident. De l’autre côté, Fatih, lui, vient d’une famille importante, aisée, puissante mais surtout pieuse et conservatrice de ces traditions. Tout au long de la série, un conflit se met en place de manière brutale mais aussi quotidienne entre ces deux familles qui ont du mal à comprendre et à penser l’autre.

Ce qui fait que cette série soit aussi populaire, c’est son attachement à une réelle situation politique et culturelle. La série est, d’ailleurs, tirée d’une histoire vraie. Elle représente donc au final une Turquie divisée sur le plan politique, économique et surtout culturel. Les Muhafazakar (les conservateurs) veulent défendre leur idéologie religieuse au détriment parfois des droits et des libertés alors que les seküler ont du mal à concevoir la présence de ces religieux qui sont à l’antipode de leur pensée et de leurs idées.

Les femmes et la guerre culturelle

La série est aussi représentative du combat des femmes et de leur place dans la société tiraillée entre deux extrêmes. Les femmes laïques, les femmes portant le voile, les mères de famille et les femmes se déclarant modernes font face chaque jour, chacun de son côté, à des situations difficiles sur le plan idéologique et politique. Toutefois, cela ne les empêche pas d’être aujourd’hui dans une lutte feministe très profonde pour leur droit et leur sécurité au sein d’un pays n’ayant pas hésité à leur donner une place de citoyenne en 1923. Les femmes, dans la série “Kızılcık Şerbeti”, subissent la pression de leur famille notamment conservatrice sur leur comportement, et sur leur impact social mais chacune, à sa manière, veulent une indépendance, une émancipation, qu’aujourd’hui beaucoup diront grâce à Atatürk.

Les femmes ont toujours eu un rôle important dans la mise en place du régime d'Atatürk. Ses filles adoptives sont comme Sabiha Gökçen des aviatrices mais aussi des femmes cultivées. Miss Turquie devient le symbole d’une victoire du CHP, la femme turque est émancipée en 1934, elle peut voter, défendre ses droits et avoir une éducation ... à condition qu’elle oublie son voile. Afet Inan, une de ses filles, prendra la parole pour défendre les droits politiques et civils des femmes américaines. Afet Inan est comme son père, fervent d’une idéologie autour de l’identité turque ancrée dans une conception historique raciale.

Il existe tout une problématique autour du voile qui atteint son paroxysme en 1990, et qui est encore au centre des disputes entre les Muhazarkarlar et Seküler qui se disputent même les boutiques de vêtements. Entre la mini-jupe et le voile, le choix est difficile en Turquie.

Le siècle d’une République divisée plus que jamais

Lors des élections ces différences et une forme de haine se manifestent jusqu’au micro trottoire, jusqu’au bureau des universités et jusqu’à la bataille politique entre Recep Tayyip Erdoğan et Kemal Kılıçdaroğlu qui au final est le symbole d’une bataille culturel et politique de plus 100 ans. Ces divergences sont notamment visibles avec les recherches de la journaliste Anne Andlau qui autour de la question du leg républicain tente de présenter le visage de ceux qui ont la même histoire mais pas le même héritage.

Pour Filiz, 52 ans, la République c’est avant tout le droit des femmes, la modernité, la laïcité, c’est le chemin qu’offre à ses yeux Atatürk, figure historique presque mythique d’un homme vu comme le réformateur, le sauveur. Les Turcs semblent tout lui devoir. Leur discours et leur amour pour la patrie sont liés inévitablement à leur affection pour cet homme sauveur de la nation.

Elle pleure la multiplication des écoles religieuses et la réapparition dans le discours politique de l’Islam, son mari Mehmet ajoute qu’il a le sentiment que “le pouvoir cherche à minimiser l’importance d’Atatürk”.

“Diyanet İşleri Başkanlığı”, le ministère de la religion créé sous Mustafa Kemal Atatürk, est aujourd’hui un ministère qui compte davantage que le ministère des affaires étrangères. Alors que le “Diyanet” était avant tout conçue pour contrôler l’islam, les confreries et les imams ainsi qu’une institution dont la population muhafazakar et seküler se méfie grandement pour différentes raisons, aujourd’hui son impact politique semble accru. Le “Diyanet” reçoit 1,5 milliards d'euros contre 572 millions d’euros pour le ministère des affaires étrangères, ce qui nous donne une image assez révélatrice des nouvelles ambitions d’Erdoğan.

Orhan, 90 ans, né 10 ans après la République, défend Atatürk comme celui qui les aura libérés de l’obscurantisme religieux, du Calif et aura permis à la Turquie d’être un Etat moderne. Certains, comme Kadir, 65 ans, garde en lui les traces d’un nationalisme turc puissant. Pour lui seule l’identité de la Turquie peut primer, et doit être présente. Il ira même parler de trahison face à la vague d’immigration arabe et syrienne qui malheureusement ont donné lieu à beaucoup de préjugés et de racisme au sein du pays. Toutefois, aujourd’hui, Ummu Gülsüm, malgré son amour envers le personnage emblématique préfère défendre l’honneur et la dévotion de Recep Tayyip Erdoğan qui est pour elle le sauveur de la nation, le sauveur de l’Islam, celui qui redonne les lettres d’or à l’héritage religieux de la Turquie, et qui méprise l’occidentalisation dont a fait preuve Atatürk.

Recep Tayyip Erdoğan et Mustafa Kemal Atatürk : à qui appartient l’histoire ?

Aujourd’hui, Recep Tayyip Erdoğan est le “Reis” du pays, un homme fort qui s'inscrit dans une histoire beaucoup plus large que la Turquie moderne. Au pouvoir depuis 20 ans, juste assez pour fêter les 100 de la Turquie, il est celui qui renoue avec l’Islam politique, qui n’hesite pas à s’opposer à la culture occidentale, aux LGBT, aux kurdes et surtout aux médias étrangers. A un moment, où on le prend pour responsable de la crise économique, du séisme dévastateur, il est vu comme celui qui renoue aussi avec une dérive autoritaire n’ayant finalement jamais disparu.

Le siècle de la Turquie moderne a fêté ce 29 octobre, un siècle selon lui de progrès, d’avancement, et de lutte acharnée contre ce qu’il appelle l'Etat profond, et l’ingérence étrangère. En ce siècle de république et non pas de démocratie comme on pourrait faire l’erreur, Recep Tayyip tente de réhabiliter l’histoire ottomane, des sultans forts, et des guerriers seldjoukides. Il a compris très rapidement, que pour avoir un Etat fort, un Etat puissant sur le plan géopolitique et national, il lui fallait réécrire l’histoire de son pays et jouer sur l’éducation et le monde universitaire. C’est l’une des raisons qui le pousse à nommer Melih Bulu à la tête de l’université de Boğaziçi en janvier 2021 provoquant la colère des équipes pédagogiques mais surtout des étudiants qui se sentent étouffés dans leur droit. Une violente répression avait suivi les manifestations.

C’est un génie turc musulman avec un ancrage idéologique notamment avec sa figure fare Menderes et une vision de l’Occident non pas moderne mais colonialiste tout en passant dans une histoire qu’il va dramatiser. C’est, comme le souligne Benjamin Gourisse dans son ouvrage sur les idées reçues en Turquie, un néo-ottoman, c'est-à-dire qu’il glorifie la puissance de l’Empire ottoman en affirmant que l'Europe l’aurait détruite. C’est dans cette vision qu’il critique la gestion du conflit israélo-palestien jugé comme une erreur européenne.

Pour l’essayiste Mehmet Altan, le pays est obnubilé par l’histoire, “la mémoire turque dure à peine vingt trois jours”. On enseigne très peu l’histoire contemporaine, et les nouvelles réformes tendent plus à donner de la place aux principes religieux. La Turquie est un lot de tabous, de dénis, de négationnisme mais aussi de mensonge. Elle n'hésite pas à réinventer l'histoire, à combler au final les trous par des récits mythiques comme le souligne Olivier Bouquet un historien ottomaniste. Le politologue Edhem Eldem, la Turquie est “Climane et clipathe”, folle et malade d’histoire. Dans ce récit historique vient la touche nationale que les deux courants idéologiques affectionnent mais présentent différemment. Erdoğan a supprimé sous son gouvernement la théorie de Darwin des manuels scolaires ... pour encore une fois répondre à sa volonté de domination musulmane.

Ce qui est intéressant au final est la manière dont deux dirigeants : le sabre et le turban, se rejoignent dans une lutte du pouvoir, de prospérité et d’avancées. Soner Çağaptay explique “Ils ne sont pas différents dans la mesure où tous les deux cherchent à faire de la Turquie une grande puissance” ... simplement, pour certains, il n’est pas possible de sacrifier son identité religieuse et culturelle au prix de la modernité.

B. 15 Juillet et ses conséquences (OHAL)

Deux histoires se font face parallèlement, l’histoire d'Atatürk sauveur de la Turquie et celui de Recep Tayyip Erdoğan qui a dû affronter le rejet européen, la révolte de Gezi et surtout le 15 juillet 2016, le coup d’Etat raté.

Du 15 au 16 juillet, Ankara et Istanbul sont déclarés au mains du groupe armé Conseil de la paix dans la pays. Une fraction de l’armée turque qu’on soupçonne d’être sous influence de Fethullah Gülen amorce une tentative de coup d’Etat. L’armée déclare vouloir rétablir la démocratie tout en imposant le couvre feu et le plan martial. Au même moment, Recep Tayyip Erdoğan demande lors d’un appel Whatsapp de sauver le pays de sa destruction. Une série d'attaques survient sur les grandes institutions comme le parlement turc et le palais présidentiel.

Cet événement a, d’une manière, déstabilisé la Turquie que l’actuel président défend. Sa politique est telle qu’il rejette le bienfait de la laïcité et de l’occidentalisation qu’une majorité de Turque continue à défendre. Pour lui, tout cela est le fruit d’un complot contre la puissance Turque et surtout des penseurs de Kemal, les kémalistes qui ont projeté de défendre leur idéologie au travers des décennies. Le coup d’Etat de 2016 a été l’occasion de se retourner contre ses opposants, on voit là toute l’étendue d’un comportement opportuniste. Les jours qui ont suivi le 15 juillet 2016, ont été des journées d’arrestations massives de toute une partie de l'Élite. On construit très rapidement des prisons, des centres d’arrêt. De la même manière, un climat de méfiance se met en place au sein de la population qui n'hésite pas à accuser son voisin de “fetöcü” (partisan de feto). Pour lui, le coup d’Etat est loin d’être un échec mais plutôt comme il le dit “un don de Dieu”. On assiste à un réel recul de la démocratie qu’Oya Ersoy, ancienne députée, tente d’expliquer et de comprendre. Les médias, les opposants politiques, les associations, les intellectuels vont être davantage contrôlés et encadrés par le gouvernement. Pour la première fois depuis la naissance de la Turquie moderne, l’armée se plie à la République qu’elle a créée. Le peuple turc refuse de revivre sous une politique militaire. De nombreuses agressions se déroulent au sein des quartiers juifs et alévis, Cemil Candaş est assassiné et un touriste français découvre la mort pour avoir refusé de porter le drapeau Turque.

C. Séisme à Kahramanmaras et à Hatay : véritable rupture politique

Des dégâts conséquents

6 février 2023, 4h17, un séisme de magnitude 7.8 frappe le sud-est de la Turquie suivi d’un deuxième de 7,6. 48h c’est le temps écoulé avant que l’Etat commence à déployer l’armée dans les zones sinistrées. 10, c’est le nombre de villes touchées par cette catastrophe. 50 mille, c’est le nombre de victimes retrouvées. 14 millions c’est le nombre de personnes affectées. De surcroît, les hôpitaux, structures indispensables pour soigner les victimes en cas de séisme n’étaient pas aux normes parasismiques dans la région touchée par le séisme, tout comme l’hôpital d’Iskenderun où 70 personnels soignants et patients ont péri. Pourtant, malgré les nombreux avertissements lancés par les sismologues et géologues comme le professeur Naci Görür, la région touchée manquait cruellement de préparations. De ce fait, nombreux sont ceux qui ont critiqué la déresponsabilisation du gouvernement vis-à-vis de cette catastrophe. Une colère s’est alors généralisée au sein des victimes qui se sont senties véritablement délaissées voire abandonnées.

Turquie, un fort passé sismique ancré à jamais dans les mémoires, mais des constructions hors normes

La Turquie a déjà connu en 1999 un séisme dévastateur faisant plus de 18 mille victimes. 24 ans après, comment ce pays se retrouve-t-il à nouveau dans une situation apocalyptique ? Est- ce une fatalité, comme le déclare le président Erdoğan, où est-ce plutôt une accumulation de négligences et de conséquences dûes à la corruption des promoteurs immobiliers proches du parti de l’AKP ?

Les années 90 étaient une période de frénésie dans le développement urbain. Les promoteurs corrompus ont fait de considérables profits en construisant des bâtiments hors normes, avec des matériaux inadéquats. Hélas, le séisme de 1999 nous a confortés dans l’idée que ce n'était pas le séisme qui tuait mais bien le bâtiment ! En revanche, c’est avec les lois d'amnistie concernant les constructions illégales avant l’élection présidentielle de 2018 que 294 166 constructions hors normes de la zone sinistrée actuelle ont été régularisées. Beaucoup ont critiqué la défaillance, le manque de coordination des autorités ainsi que la non-intervention rapide de l’armée qui pourtant possède des moyens d’actions conséquents.

Un peuple qui s’insurge ?

Comme le déclare Henri David Thoreau “Il est de mon devoir, en tout état de cause, de m'assurer que je ne contribue pas au mal que je condamne.” C’est ce que de nombreux spectateurs turcs ont tenté de mettre en œuvre lors de matchs de football. Le slogan “Mensonges, tricheries, ça fait vingt ans, démission” retentissait dans les stades. Les hashtags “Nous ne sommes pas tranquilles” “Ce n’est pas une fatalité” “Je ne te pardonne pas” se sont multipliés sur Twitter pour s’opposer aux paroles du président qui lors de ses discours a déclaré qu”ils étaient tranquilles, que c’était une fatalité et qu’il demandait pardon pour l’arrivée tardive des secours. La vente de tentes du Croissant rouge turc à l’ONG locale AHBAP a également soulevé d’importantes critiques. C’est à travers cette crise que la scène politique et l’économie turque se voit d’une certaine manière bouleversée, surtout avec les élections de mai dernier qui étaient à l’horizon. Même si les élections de 2002 avaient été profondément impactées par le séisme de 1999, le contexte politique actuel est tellement différent qu’il n'est possible d’envisager de tels changements. En effet, la Turquie est aujourd’hui sous un pouvoir autoritaire qui maintient d’importantes restrictions sur la liberté d’expression. La Turquie est aujourd’hui 165ème parmi 180 pays dans le classement concernant la liberté de la presse de Reporters sans frontières.

II. L’apogée du conflit culturel : les élections présidentielles et législatives de mai dernier

A. Campagne électoral : adulation

La dernière campagne électorale a été un épicentre de tension. On voit les grandes tendances politiques s'affronter dans une bataille d’image, de culture et surtout d’idéologie de fond. Les deux candidats en tête de liste : Recep Tayyip Erdoğan et Kemal Kılıçdaroğlu sont deux hommes politiques à l’opposé de l’un et de l’autre. Ils sont avant tout les grands défenseurs de leur pensée et de leur courant. Recep Tayyip Erdoğan, un islamiste, un conservateur et surtout un homme lié à une conception politique et historique tournée vers l’Empire ottoman. Son but : s'inscrire dans l’histoire de la Turquie à l’image de Mustafa Kemal Atatürk. De l’autre côté de l'échiquier politique, le visage d’un Alevis, populaire, kémaliste de naissance, qui refuse de voir la Turquie sombrer dans l'islamisme politique : Kemal Kılıçdaroğlu était le visage d’un possible changement.

Un populisme très important des deux côtés de la campagne, où l’homme du peuple est devenu sujet à conquête électorale. De la même manière, les Kurdes ont été au centre des problématiques : doit-on les soutenir ? doivent-ils soutenir Kemal Kılıçdaroğlu ? Recep Tayyip Erdoğan ?, et au final quel a été le rôle du HDP ? un parti ayant du mal à se projeter dans les deux candidats. Pour les Kurdes, Recep Tayyip Erdoğan reste un néo-ottoman, celui qui depuis la création de Daesh n’a pas arrêté ses bombardements sur les infrastructures kurdes. Après une brève relation amicale avec les Kurdes, Erdogan s’est fait connaître pour ses attaques en Syrie pour notamment éloigner les groupes qu’elle juge terroriste comme le PKK et YPG. Pour Benjamin Gourisse, avant l'intervention de la communauté internationale, la Turquie jouait sur plusieurs fronts avec Daesh car le groupe lui permettait d’assurer ses propres intérêts concernant la question kurde qui n’a fait que se renforcer avec les guerres d’Irak et de Syrie. On retient aujourd’hui, l’opération du bouclier d’Euphrate en 2016, et 2017 du pouvoir qu’il a mis en place pour empêcher le développement du PKK et YPG, et 2018 la reprise des villes kurdes.

Le procès Kobané est aussi l’exemple du politicide mené contre les partis kurdes aujourd’hui. Selahattin Demirtaş et 3000 militants du HDP sont en prisons actuellement pour des accusations de crimes de “destruction de l’unité de l’État et de l’intégrité du pays” et de “meurtre avec préméditation” des personnes ayant perdu la vie lors des manifestations de Kobané. Ce politicide est dénoncé par Adnan Çelik dans une série d'articles coordonnée par Bayram Balcı et Nicolas Monceau sur CERI. Pourtant, le mouvement kurde, malgré les divisions, reste important, et n’a pas peur de prendre la parole pour les “les prisonniers politiques”. Selahattin Demirtaş reste avec Gültan Kışanak des symboles forts.

Au même instant, le HDP devient le Yeşil sol Parti, et est pris dans un dilemme immense : soutenir ou ne pas soutenir Kemal Kılıçdaroğlu ? Ne pas le soutenir reviendrait-il à faire perdre l'opposition qui semble si proche du but ? Le soutenir pour certains serait de vendre ses valeurs et sa pensée à une coalition d’opposition qu’ils jugent eux même nationalistes ...

Le choix a été difficile mais la décision a été prise pour permettre le changement, et le retour à la démocratie. Le HDP/YSP décide de ne pas proposer de candidat en échange de la libération de Selahattin Demirtaş. Une promesse qui a été très mal prise par les courants racistes, fascistes et nationalistes de la coalition de Kemal Kılıçdaroğlu. Le YSP a du faire aussi a une base électoral qui est devenue au fil des années elle-même conservatrice. Une partie des Kurdes ont préféré préserver leur identité religieuse à travers un vote pour Recep Tayyip Erdoğan. Un choix critiqué par certains qui voit en l'actuel président une simple volonté de faire disparaître la question kurde de l’agenda politique. Pourtant, toujours au cœur des débats, et des médias, les revendications kurdes ne s'atténuent pas, et le Nord de Syrie, le Rojava qui a obtenu son autonomie prend de la place et continue de faire peur au gouvernement turque qui préfère avoir une zone tampon sans le moindre Kurde.

B. Peur et espoir d’un retour à la démocratie

Crainte grimpante auprès des membres et des partisans de l’AKP

Les élections du 14 mai ont donné lieu à d’importants enjeux politiques. Une crainte grandissante s’est manifestée auprès des membres et des partisans de l’AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi). La tranche conservatrice de la Turquie s’est confrontée à une peur du changement de par leur attachement profond envers la figure forte d’Erdoğan qui représenterait, à leurs yeux, la grandeur et la gloire du pays. Pour cause, la plupart des sondages annonçaient Kemal Kılıçdaroğlu comme vainqueur, ce qui serait dû à une impopularité croissante d’Erdoğan. Cette méfiance à l’égard des élections s'est notamment manifestée lors du discours du ministre de l’intérieur Süleyman Soylu, membre de l’AKP. En effet, lors de sa visite à “İstanbul İlim ve Kültür Vakfı”, il a déclaré que les élections législatives et présidentielles du 14 mai constituent une “tentative de coup d’Etat”. Il a de même rappelé la tentative de coup d’Etat du 15 juillet en évoquant la lutte du peuple turc pour protéger leur pays. Puis, il a énoncé les paroles suivantes : “15 Temmuz onların fiili darbe girişimiydi. 14 Mayıs da Batı'nın siyasi darbe girişimidir, bu kadar açık ve nettir.” (“Le 15 juillet était leur tentative de coup d'État militaire. Le 14 mai est également une tentative de coup politique de l'Occident, c'est aussi clair et net”.) D’après Soylu, ces élections sont une manière pour l’Occident de déposséder la Turquie de son indépendance et de sa souveraineté. Affirmer d’une telle ardeur que des élections organisées au sein d’une république soit disant démocratique sont une attaque directe à la nation entraîne sans surprise un déluge de questionnement de la part de la jeunesse. Pour la première fois, les membres de l’AKP ont haussé la gravité de leur parole envers l’opposant Kılıçdaroğlu prenant une ampleur inouïe. Le Président l’a traité d’alcoolique, d’ivrogne, de terroriste, de LGBT. Il en est de même pour les personnes votants pour Kılıçdaroğlu : “Kılıçdaroğlu’na oy verenler dinsiz, vatansız teröristlerdir” (“Ceux qui votent pour Kılıçdaroğlu sont des incroyants, des terroristes sans patrie.”)

La jeunesse entre espoir et inquiétudes

Pour beaucoup, ces élections représentaient la seule issue face à ce pouvoir autoritaire qui gouverne le pays depuis plus de deux décennies. La plupart des 5 millions de primo-votants, des fonctionnaires opposés au système de la bureaucratie corrompue, ainsi que les victimes du séisme délaissées par l'État se trouvaient parmi eux. De nombreuses revendications s’élevaient dans les esprits pour la liberté et une justice indépendante. En effet, de nombreux journalistes et opposants politiques se retrouvent injustement emprisonnés. Le philanthrope et homme d'affaires Osman Kavala en constitue un parfait exemple. Reconnu coupable d’avoir tenté de renverser le gouvernement turc par le financement des manifestations antigouvernementales, dites mouvements de Gezi, et condamné à perpétuité, son nom retentit comme le symbole de la répression du régime actuel. Dans un témoignage, Kavala déclare : “6 yıldır hiçbir delil olmadan cezaevindeyim” “Ülkemde hukukun egemen olacağına dair umudumu kaybetmedim” (“Je suis en prison depuis 6 ans sans aucune preuve” “Je n'ai pas perdu l'espoir que le droit prévaudra dans mon pays”).

Une autre revendication des opposants serait un retour à la démocratie. En effet, depuis le référendum constitutionnel de 2017, la Turquie est passée d’un régime parlementaire à un régime présidentiel. Ainsi, Recep Tayyip Erdoğan a accru l'étendue de son pouvoir en optant pour une hyper-centralisation du pouvoir en sa personne. À l’époque, Kılıçdaroğlu militait pour que les citoyens votent pour le “Hayır”, c’est-à-dire “Non”, à la révision constitutionnelle. De plus, c’est en modifiant la Constitution en 2017, par un référendum quelque peu contesté, qu’Erdoğan s’est octroyé le droit de se présenter une fois de plus aux élections présidentielles. Selon la Constitution turque, un président ne peut exercer que deux mandats. En revanche, Erdoğan soutient l’idée selon laquelle cette révision de la Constitution remet à zéro ses mandats présidentiels.

Lors des élections de mai dernier, l’opposition prônait un certain retour à la démocratie en établissant un parlementarisme renforcé. “Güçlendirilmiş Parlamenter Sistem Mutabakat Metnini hazırlayan partiler olarak bizler, etkin ve katılımcı bir yasama, istikrarlı, şeffaf ve hesap verebilir bir yürütme, bağımsız ve tarafsız bir yargı ile kuvvetler ayrılığının tesis edildiği güçlü, özgürlükçü, demokratik, adil bir sistem inşa etme kararlılığı içindeyiz.” (“En tant que partis ayant préparé le texte de l'Accord de Renforcement du Système Parlementaire, nous sommes déterminés à construire un système fort, démocratique, libre, équitable, avec un législatif efficace et participatif, un exécutif stable, transparent et responsable, et un pouvoir judiciaire indépendant et impartial, établissant la séparation des pouvoirs.”) Cependant, la faisabilité de cette promesse est quelque peu disputée par certaines personnes comme le professeur Ali D. Ulusoy qui déclare qu’il est impossible de changer le régime aussi rapidement. La professeure de droit constitutionnel à l’Université de Koç, Bertil Oder a également déclaré : “Changer de régime ne sera pas simple en raison du seuil parlementaire très élevé des 3/5 nécessaires pour les révisions constitutionnelles”. Même si Kılıçdaroğlu gagne et tente de mettre en place ce régime, le plus important reste la composition de l’Assemblée nationale. De surcroît, dans ce scénario, Erdoğan serait celui qui défenderait le plus le parlementarisme afin d’être au pouvoir à nouveau.

Le jeu des alliances

D’après la politiste Ayşen Uysal, après le coup d’État militaire du 12 septembre 1980, les juristes critiquaient le caractère peu représentatif du régime qui occultait les petits partis. C’est à travers les modifications du “Code des élections en 2018 et 2022” et la mise en place d’un régime présidentiel que ces partis ont gagné en visibilité. En ce sens, les deux principaux partis, l'AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi) et le CHP (Cumhuriyet Halk Partisi), restent dans l’obligation de s’allier avec d’autres partis pour gagner les élections ou s’imposer, quitte à se joindre à des partis qui ne représentent pas leurs idées. De ce fait, des partis comme le Memleket Partisi, le Türkiye İşçi Partisi, le Hür Dava Partisi et le Yeniden Refah Partisi se sont trouvés dans des positions qui leur permettent de négocier avec les grands partis.

Dans le cadre des élections de mai dernier, l’objectif ultime du CHP étant de vaincre Erdoğan coûte que coûte, une coalition avec divers bords politiques nommée “Altılı Masa” (La table des six) s’est formée. Comme l’indique son nom, cette coalition est composée de six partis : le CHP (Kemal Kılıçdaroğlu, gauche républicaine, social-démocrate, nationaliste et laïc), l'İYİ Parti (Meral Akşener, nationaliste), le Saadet Partisi (Temel Karamollaoğlu, tendance islamiste), le Demokrat Parti (Gültekin Uysal, conservateur de centre droit), le DEVA Partisi (Ali Babacan, ancien membre de l’AKP, libéralisme conservateur) et le Gelecek Partisi (Ahmet Davutoğlu, ancien Premier Ministre et membre de l’AKP, libéralisme conservateur). L’instabilité de cette coalition a vite fini par se manifester, notamment avec Meral Akşener de l'İYİ Parti, le deuxième parti le plus important de la table des six, qui s’est opposée à la désignation de Kılıçdaroğlu et a quitté la coalition avant d’y retourner quelques jours plus tard. Cela a affaibli leur image aux yeux des citoyens turcs. L’une des principales craintes vis-à-vis de l'élection de Kılıçdaroğlu était fondée sur la diversité politique de la coalition : Comment la table des six, allant de l’extrême droite jusqu’à la gauche, pourrait-elle gouverner la Turquie sans qu’il y ait de quelconques blocages ? De l’autre côté, l’AKP est aussi dans une coalition avec le MHP (Devlet Bahçeli, extrême droite, républicain) et le Yeniden Refah Partisi (Fatih Erbakan, islamiste).

C. Bilan des élections : entre paradoxe et constat

Atmosphère tendu autour des urnes et devant les écrans

Le dépouillement ne s’est pas déroulé dans une ambiance paisible. Au contraire, comme l’a constaté Al-Jazeera : “Les partis turcs se chamaillent”. Un climat très tendu régnait autour des urnes, avec des débats et disputes enflammés entre les différents membres bénévoles des partis de l’AKP et du CHP. À de nombreuses reprises, surtout lorsque le CHP était vainqueur dans une urne, les membres de l’AKP demandaient le recomptage incessant des voix. Il s’agissait donc d’une très longue nuit pour les observateurs électoraux. Le maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, a accusé l’AKP de vouloir manipuler les résultats et démoraliser les observateurs électoraux de la coalition de l’opposition pour qu’ils quittent leur poste.

Il n’en est pas moins devant les écrans où se manifestent les résultats contradictoires issus de deux agences de presse : Anadolu Ajansı et Anka haber Ajansı. En ce sens, l’agence Anadolu débute l’annonce progressive des résultats toujours en plaçant Erdoğan en tête, alors que Anka présentait des résultats plus nuancés, laissant finalement le public dans le plus grand brouillard. C’est donc face à ces résultats confus qu’İmamoğlu s’est de nouveaux exprimé contre l’AKP en accusant l’agence Anadolu de manipuler l’annonce des résultats de manière biaisée : “Anadolu Ajansı’nın itibarı sıfırın altındadır. Vatandaşlarımızın asla itibar etmemelerini özenle bildiriyoruz. İstanbul’daki gerçek sayıları görünce veri akışını kesen bir Anadolu Ajansı ve yöneticileri bizim için yok hükmündedir.” (“La réputation de l'Agence Anadolu est en dessous de zéro. Nous tenons à informer nos citoyens de ne jamais lui accorder de crédibilité. Une Agence Anadolu et ses dirigeants qui interrompent le flux de données après avoir vu les chiffres réels à Istanbul sont sans importance pour nous.”)

Un second tour finit par être annoncé, suite à cette élection tourmentée. Certes, à l’issue de celle-ci, Erdoğan s’annonce vainqueur. Mais en est-il pour autant que son image et son pouvoir sont aussi puissants qu’ils l’étaient auparavant ? D’après Marie Jégo dans le journal Le Monde, “Erdoğan est affaibli car c’est la première fois qu’il n’est pas élu dès le premier tour, mais il fait mieux que prévu”.

Des comportements électoraux qui soulèvent des questions

Les comportements électoraux des différents groupes relèvent d’une forte complexité dûe à l’histoire et l’actualité même du pays. Tout d’abord, les villes à l’ouest du pays, les villes les plus développées, les métropoles comme Ankara et Istanbul ont été du côté de CHP. Cela s'explique principalement par la présence d'individus qui embrassent une vision plus laïque, moderne et contemporaine de la Turquie dans ces régions, conjointement à un niveau d'éducation plus élevé. En revanche, des villes situées à leur opposé, c’est-à-dire, à l’est et au sud-est du pays ont également voter grandement pour le CHP. Des villes comme Mardin, Şırnak, Hakkari, Van et Diyarbakır ont voté en grande majorité pour le parti de l’opposition. Diyarbakir avec 77,6% de voix et Tunceli avec 82,81% ont même détrôné Izmir connu pour être “CHP'nin kalesi” (la forteresse de CHP) qui a obtenu 67,13% de voix. Les diverses villes mentionnées abritent une population significative de Kurdes. Ainsi, comme mentionné précédemment, c’est avec le retrait du HDP que les votes des kurdes s'imposent comme un enjeu majeur pour le parti de l’opposition.

De même, la répartition des voix dans les régions affectées par le séisme du 6 février fait émerger d’importants questionnements. Malgré le profond sentiment d’abandon ressenti par les victimes du séisme, les zones sinistrées affichent un résultat fort contradictoire. Les habitants n’ont finalement pas changé leur couleur politique traditionnelle. À Kahramanmaraş, l'une des villes les plus touchées, 71,88% ont voté pour Erdoğan. D’après la journaliste Agnès Vahramian de Franceinfo, ce comportement électoral serait dû à “un énorme travail social”, tel que des repas gratuits et des prêts pour les jeunes couples, afin de s’assurer de leur fidélité.

Composition de l’Assemblée nationale : la droite qui s’impose

La nouvelle composition de l’Assemblée nationale à l’issue des élections législatives se différencie considérablement des anciennes. D’après Nicolas Bourcier et Angèle Pierre, correspondants du journal Le Monde à Istanbul, depuis la fondation de la République Turque en 1923 jusqu’à aujourd’hui, jamais l’Assemblée n'avait concentré “autant de parlementaires nationalistes et islamistes”. Ainsi, nous assistons à la formation du Parlement, qualifié de “plus nationaliste et l'un des plus à droite dans l'histoire centenaire de la République turque”, regroupant l'AKP, le MHP, le Gelecek Partisi (Parti de l'Avenir), ainsi que le İYİ Parti (Bon Parti) dirigé par Meral Akşener, qui avait occupé le poste de ministre de l'Intérieur dans les années 90, une période marquée par une répression majeure de la communauté kurde du sud-est de la Turquie.

De surcroît, c’est à travers ces élections et le soutien de l’AKP que le parti surnommé HÜDA PAR a fait son entrée à l’Assemblée avec quatre députés. D’après le chercheur Adnan Çelik dans son article publié au CERI “Le mouvement kurde toujours debout malgré le “politicide” orchestré par Erdoğan”, ce parti représente “l'émanation légale du Hezbollah kurde de Turquie”, très opposé au PKK. De plus, le HÜDA PAR est un groupe anti-féministe avec des discours scandaleux concernant les droits des femmes. Il a affirmé que l'égalité entre hommes et femmes est, selon lui, injuste. Aynur Sülün, une membre de ce parti, a notamment défendu la révision voire la suppression de la loi 6284, une loi contre les violences faites aux femmes, pour la remplacer par une réglementation plus “morale, plus équitable” afin d'en empêcher les “abus” (alors que les féminicides ne font qu’augmenter en Turquie). De ce fait, les femmes redoutent davantage l’alliance de l’AKP avec ce parti ainsi que ses éventuelles conséquences sur la condition féminine.

Une scène politique toujours embrasée : les futures élections municipales, la conquête d’Istanbul ?

Dès la fin des élections, un appel à la démission de Kılıçdaroğlu a été lancé par de nombreuses personnes notamment par l’ancien secrétaire général de CHP, Önder Sav. Les partisans de l’opposition ont articulé leur désir de changement effectif et radical pour l’emporter sur l’AKP lors des prochaines élections. Leur seul espoir, Kılıçdaroğlu étant vaincu, une recherche de renouvellement à travers une figure plus forte a été établie. C’est dans ce même contexte qu’ont eu lieu le 4 novembre 2023 les élections du nouveau président du parti du CHP. Chacun des deux candidats, Kemal Kılıçdaroğlu et Özgür Özel, portait fièrement l'inscription “Gazetecilere özgürlük” signifiant “Liberté pour les journalistes”, sur leur costume. Ces mots résonnent comme un puissant message de soutien envers les nombreux journalistes actuellement emprisonnés de manière arbitraire en Turquie sous le régime d'Erdoğan. Lors de son discours, Özel a salué courageusement non seulement Osman Kavala, mentionné précédemment, mais également Selahattin Demirtaş, l'ancien dirigeant du HDP actuellement détenu depuis 2016 en raison d'accusations liées au “terrorisme”.

Deux tours de vote se sont déroulés. Lors du premier tour, Özel a recueilli 682 voix, contre 664 pour Kılıçdaroğlu. N'ayant ni l'un ni l'autre obtenu le nombre requis, un second tour a été organisé. Finalement, Özgür Özel a remporté la victoire avec une nette marge d’avance : 811 voix contre 534. C'est ainsi que Kılıçdaroğlu voit s'achever ses 13 ans à la tête du parti en ayant perdu quatre élections en l’espace de six mois. Cependant, ce renouveau au sein du CHP impose- t-il un véritable nouvel ordre, annonce-t-il réellement le renforcement de l’opposition ? Du côté du public, c’est un avis mitigé qui émerge. Certains estiment que Kılıçdaroğlu et Özel se valent, tandis que d'autres adoptent une approche plus optimiste, croyant en la concrétisation de leurs revendications. Quoiqu'il en soit, Özel annonce le ton pour les prochaines élections municipales cruciales pour l’AKP et le CHP en déclarant qu’ils se lancent aux élections avec toute leur force. L’enjeu est grand : quel parti obtiendra Istanbul et Ankara ? Pour le moment, ces deux villes sont dirigées par des maires issus du CHP. Néanmoins, l’AKP a tout de même débuté sa campagne électorale avec son slogan “Yeniden Istanbul” qui veut dire “Istanbul à nouveau” marqueur de son importance stratégique. Istanbul, cette ville qui regorge d’histoire et de culture, qui fait face à de grandes crises économiques et migratoires, cette métropole qui se perpétue dans l’attente insaisissable et inextricable du futur tremblement de terre, s’impose dans la scène politique des prochains mois.

Conclusion

En définitive, le visage de la Turquie est resté à certains égards le même depuis 100, celui d’un pays déchiré entre deux volontés : préserver et réformer. Ces deux volontés qui ont encore, aujourd’hui, du mal à se faire face, à vivre ensemble et à se comprendre. Ajoutez à ce tableau, le conflit kurde qui ne cesse d’être au centre des politiques gouvernementales en termes de sécurité, de la même manière les Alévis, les Arméniens, les minorités religieuses sont toujours sujet à des répressions, des violences. Tous ces questionnements ont été visibles lors des dernières élections qui présentent l’affrontement culturel et idéologique de ce pays encore tout récent qui oscille entre démocratie et autoritarisme. La Turquie est, au final, des identités politiques, ethniques et religieuses différentes parfois à l’antipode de l’un et de l’autre mais reste un Etat qui veut continuer de se développer, de s’améliorer et de briller sur la scène internationale. Les intellectuels, les journalistes et les militants de tous les jours continuent de se battre pour un avenir meilleur, pour permettre à la Turquie de vivre démocratiquement malgré les fortes répressions et restrictions sur la liberté d’expression.

La célébration des 100 ans de la République a permis au moins pendant une journée de rassembler le peuple turc dans un climat festif autour d’une idée : leur devoir de préserver leur héritage républicain. La Turquie est un ensemble complexe qui a dû célébrer ce grand moment historique dans un climat géopolitique tendu avec les récents événements à Gaza. Beaucoup de spécialistes soulignent la prise de position forte, radicale, voire choquante pour certains, d’Erdoğan contre l’Occident, s’imposant ainsi comme le fervent défenseur des musulmans opprimés. Ce qui est intéressant à souligner, c’est la manière dont le peuple turc s’est à nouveau divisé sur cette question d’actualité : la Turquie, alors qu’elle se caractérise par de nombreux conflits et crises internes préoccupantes, doit-elle s’impliquer directement dans ce conflit perpétuel ?

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