Maroc et Algérie: Les Tambours de la Guerre en Approche ?
Auteur : Khales Omar
Mots clés : Maroc alégire guerre rivalité
Le 17 février 1989 fut signé au palais royal de Marrakech le Traité constitutif de l'Union du Maghreb arabe par les 5 chefs d’Etat de la région. Cette organisation, qui se voulait comme un premier pas vers l’avènement d’une entité maghrébine comparable à sa grande sœur européenne, paraît cependant de nos jours comme politiquement utopique.
Cet état des faits est dû aux relations quelque peu tendues -sans vouloir faire preuve d’euphémisme- entre le Maroc et l’Algérie, d’autant plus qu’au cours des dernières années celles-ci ne cessent de se dégrader davantage, au point que certains n’hésitent pas à parler d’une possible guerre. Mais comment décortiquer le vrai du faux ? Ce qu’il serait intéressant de mettre en avant, ce sont les causes de cette situation aux allures de poudrière, ainsi que les différents scénarios imaginables et leurs conséquences sur la région. De même cela permettra-t-il de nuancer les fantasmes guerriers de certains qui s’imaginent déjà contempler le sordide spectacle que serait un conflit entre deux des plus grandes puissances africaines. Toutefois, et puisque l’être humain n’est pas, au grand dam de Descartes, un être faisant toujours usage de raison, car pouvant succomber à ses passions destructrices comme l’Histoire en fut témoin à moulte reprises, peut-être faudrait-il se poser la question du rapport de force entre les deux armées en présence, si jamais le Rubicon venait à être franchi par l’un des deux pays.
Tensions algéro-marocaines: le vrai du faux entre état actuel, causes, et scénarios éventuels
Si les relations algéro-marocaines n’ont jamais été connues pour leur dimension apaisée - et ce à plus d’un titre (1)- il est clair que la situation depuis quelques années s’est nettement détériorée. De fait, les relations diplomatiques entre les deux frères ennemis maghrébins sont rompues depuis la décision algérienne datée du 24 août 2021. Le ministre des affaires étrangères de l’époque, Ramtane Lamamra, justifiait ce choix par une succession d’actes marocains jugés hostiles (2). Vinrent s’ajouter à cela divers éléments aggravant davantage la situation. Citons pêle-mêle la mort de trois ressortissants algériens qui faisaient la liaison entre Nouakchott et Ouargla en Algérie (3), ou encore celle de touristes marocains en jet-ski le 29 août 2023. Au-delà de la sphère politique, la dimension culturelle de cette rivalité exacerbée la met d’autant plus en évidence. Un certain nombre de médias dans les deux pays se donnent par ailleurs à cœur joie pour attaquer le “gouvernement des généraux” d’une part ou le “makhzen” de l’autre, accentuant davantage encore le gouffre qui ne cesse de se creuser entre les deux capitales (l’article du média numérique focus algérie arguant que “Le Roi du Maroc, Mohammed VI, Fournit du Cannabis à Israël pour Soutenir l’Armée en Temps de Guerre” est très éloquent en la matière).
Les causes derrière ce regain de tensions sont multiples. Au niveau géopolitique, il est clair que le rapprochement entre Rabat et Tel-Aviv (de fait actuellement en pause au regard des tensions dans la bande de Gaza) peut être considéré comme un élément de bascule. En effet, Alger considère que l’entrée en scène de l’Etat hébreu pourrait permettre à l’armée marocaine de se doter d’un armement de plus haute qualité (drones, système de défense anti-menaces aériennes, …) et de modifier l’équilibre des forces entre les deux pays du Maghreb en faveur du Royaume chérifien. La normalisation des relations maroco-israéliennes a par ailleurs été accompagnée par la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara. Cette décision, actée par Donald Trump le 10 décembre 2020 et qui, malgré le changement d’administration, n’a pas été remise en cause (4), a également redistribué les cartes de la géopolitique au Maghreb. Elle aura également eu pour conséquence l’enhardissement de la diplomatie marocaine, se voulant désormais décomplexée sur la scène internationale (5). De même doit-on noter le fait que la diplomatie algérienne se veut elle aussi de plus en plus offensive, tentant de rattraper la décennie qui s’est écoulée depuis l’AVC de Bouteflika qui a conduit à l'essoufflement de ce même appareil diplomatique. De surcroît, en 2021, année de la rupture des relations de la volonté d’Alger, faut-il également mentionner que le régime algérien faisait face à plusieurs problèmes qui le déstabilisent fortement. Certes, le Hirak s’est essoufflé avec la pandémie de Covid-19. Mais le faible cours du baril de pétrole (environ 60$) menaçait le budget de l’Etat qui dépend grandement des hydrocarbures (6). Les conséquences de ces problèmes économiques sont la diminution des subventions publiques et l’impossibilité d’importer en nombre suffisant de nombreux produits de base, ce qui rend les conditions de vie des plus précaires d’autant plus difficiles. Les grands incendies de l’été, qui ont fait plus de 90 morts, ajoutent également à la décrédibilisation de l’appareil étatique algérien. Ainsi, attiser les tensions avec l’ennemi marocain est une manière pour le régime d’externaliser la crise hors des frontières et détourner le regard de l’opinion générale (Par souci de nuance, il faut également rappeler que l'instrumentalisation des tensions est également bénéfique côté marocain dans la même optique, bien qu’elle n’en constitue pas un élément de légitimité majeure comparé au Maroc). Le lecteur se plaira à voir que la question du Sahara n’a pas été mise en avant parmi les causes, puisque si l’on adopte une approche froide et réaliste de la situation, elle est surtout et avant tout la conséquence de l’opposition entre les frères ennemis du Maghreb.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, quels seraient les scénarios plausibles ? Celui d’une guerre totale est très loin d’être le plus probable. En effet, aucune des deux nations ne sortirait gagnante d’un tel affrontement, ce dont les élites politiques au Maroc comme en Algérie sont parfaitement conscientes. Le dernier conflit contemporain majeur opposant deux armées comparables entre elles, à savoir la guerre irano-irakienne, est dans ce sens une parfaite illustration du drame que constituerait une telle confrontation. Au-delà de ce qui semble être une affaire de raison, les éléments qui seraient susceptibles de pousser à l’éclatement d’un conflit à très grande échelle que nous évoquions semblent ne plus réellement être d’actualité. Ainsi, la situation économique algérienne s’est largement améliorée grâce à la remontée des cours des hydrocarbures, ce qui diminue la peur du régime de devoir faire face à de possibles protestations sociales qui le destabiliseraient. Le risque d’une éventuelle fuite en avant des dirigeants algériens est de cette façon fortement nuancée. Même le conflit entre le Maroc et le Front Polisario n’aboutira pas forcément sur une guerre totale entre Rabat et Alger. Il est dans cette optique intéressant de revenir sur les récents tirs de projectile qui ont touché la ville de Smara. En effet, malgré le fait que les troupes du front aient, avec leur bombardement, tué un civil marocain et blessé quatre autres -ce qui aurait pu permettre aux Marocains d’intervenir légitimement- il n’en a pas été puisqu’ils ont préféré éviter d’envenimer la situation, preuve d’une volonté de retenue. Ainsi, davantage qu’une guerre totale entre Rabat et Alger, les deux configurations les plus probable à l’avenir sont plutôt, d’une part, le maintien du statu-quo avec des tensions maroco-algériennes qui demeurent importantes et une semi-guerre entre le Front Polisario et l’armée marocaine au Sahara, d’autre part une détente entre les deux capitales. La logique de l’escalade semble donc être dépassée.
Toutefois, il n’est jamais possible, en particulier en géopolitique, d’anticiper de manière formelle ce qu’il adviendra. Si une éventuelle confrontation à grande échelle n’est clairement pas la possibilité la plus plausible, elle n’est reste pas moins possible. Il serait dès lors intéressant d’analyser le rapport des forces entre les deux armées dans le cadre d’un éventuel conflit.
Une guerre fratricide: comment et avec quel rapport de forces ?
Parmi les scénarios pouvant mener à une guerre totale, le plus probable et celui sur lequel nous nous baserons repose sur le principe suivant: si une fuite en avant algérienne n’est pas probable comme nous le montrions, elle est tout à fait envisageable de la part des frontistes du Polisario. La situation politique dans les camps de Tindouf est en effet assez critique pour le bord politique polisarien, avec une jeunesse désœuvrée qui ne fait plus confiance à ses représentants -ou plutôt ceux qui se proclament être leurs représentants- pour faire avancer la cause, qui de fait mobilise bien moins la communauté internationale qu’auparavant (7). Il y a également une montée en puissance des discours guerriers vis-à -vis du Royaume au sein de la population. Lancer une attaque massive, même si elle sera vouée à être un échec complet sur le plan militaire, aura le bénéfice de permettre à Brahim Ghali, président du Front, de remobiliser les Sahraouis des camps derrière sa personne. Cela constituerait aussi une opportunité de remettre le conflit sur le devant de la scène internationale. Sauf que le Maroc se trouvera obligé à réagir fermement, certainement en ordonnant à ses armées de pénétrer dans les 20% de territoire qui ne sont toujours pas sous sa domination effective. Dès lors, c’est l’Algérie qui, possiblement, en considérant cet acte comme une menace pour sa sécurité, enverra ses propres troupes au Sahara, ouvrant la voie à un affrontement. L’article 31 de la nouvelle constitution introduite par Abdelmadjid Tebboune est dans ce sens particulièrement intéressante et très énigmatique, tant elle semble avoir été rédigée dans l’hypothèse d’un tel scénario (8). Laquelle des deux armées serait dans la meilleure des dispositions pour prendre l’avantage sur l’autre ?
L’enjeu n’est pas d’effectuer un simple listing comparatif des forces en présence, ce qui serait bien réducteur, mais au-delà de cela d’analyser et d’interpréter les différences, de les mettre en lien avec la réalité et ajouter d’autres critères qui ne sont pas forcément toujours mis en avant lorsqu’il s’agit de parler d’opposition armée. Il est dans ce sens intéressant de se concentrer d’abord sur des critères généraux pour dresser le cadre global. Enfin, nous considérerons que les matériels commandés et devant être livrés par les pays fournisseurs sont déjà disponibles pour faciliter les comparaisons (en bas de page nous mettrons les dates de livraison annoncées ou estimées).
Cette première comparaison générale est riche en informations très variées. Ce qu’il apparaît important de noter, c’est la grande différence entre les deux budgets militaires: celui algérien est deux fois plus élevé. Il s’agit là d’une différence quasi-historique dans le rapport de forces entre les deux armées, l’Algérie ayant depuis toujours bénéficié de sa manne pétrolière pour financer son armée. De même faut-il mentionner le fait que dans les deux pays le budget est disproportionné comparé au PIB (oscillant autour des 10% alors que la moyenne mondiale est entre 2 et 3%) ce qui souligne la course à l’armement que se livrent les deux frères ennemis maghrébins. Le régime algérien bénéficie également d’une dette extérieure extrêmement faible qui peut lui permettre d’emprunter davantage sur le marché créancier mondial en cas de conflit de grande ampleur. Les effectifs sont quant à eux assez similaires, mais il est à préciser que l’armée chérifienne est plus professionnelle que son homologue comme l’indique la part bien plus faible de paramilitaires, d’autant plus que les soldats algériens sont pour la plupart des conscrits. Une professionnalisation perceptible également à la lumière des expériences des deux armées. En effet, là où les troupes algériennes n’ont été actives sur le terrain que dans le cadre de la lutte anti-terroriste, celles marocaines se sont aguerries au combat avec leurs confrontations face aux éléments du Front Polisario, en plus des multiples engagements onusiens pour des missions de maintien de la paix. Au niveau logistique, si les chiffres semblent aller dans le sens d’Alger, ils sont assez trompeurs puisque la superficie du pays est plus de 3 à 4 fois plus grande que celle du Maroc, qui dispose ainsi d’un réseau plus dense permettant potentiellement d’acheminer des troupes plus rapidement et efficacement. La dimension géographique est aussi d’une importance significative. En effet, le Maroc a des frontières naturelles très faciles à défendre qui viennent protéger son cœur territorial d’une éventuelle invasion grâce aux chaînes de montagnes de l’Atlas, ce qui a souvent été le cas dans son histoire (9). Le secteur des hydrocarbures est quant à lui l’un des talons d’Achille du Maroc, ce dernier étant dépendant à 100% des importations extérieures pour son approvisionnement ce qui peut s’avérer dangereux lors d’une guerre à haute intensité.
De même faut-il préciser qu’une partie importante des forces marocaines sont placées au Sahara, devant tenir leurs positions sur le mur des sables, ce qui pourrait d’une part s’avérer dangereux pour le Royaume si les algériens mènent une opération plus au nord entre la frontière algéro-marocaine, ou d’autre part bénéfique dans le cadre de notre hypothèse évoquée plus tôt puisqu’il disposerait déjà de troupes présentes sur le terrain, lui permettant d’agir rapidement en cas d’escalade majeure. Les forces armées algérienne auront une préoccupation importante, celle de ne pas pouvoir laisser la frontière avec les pays du Sahel trop longtemps sans surveillance. En effet, cela laissera le champ libre aux groupes terroristes pour s’implanter dans le Sahara algérien. L’ANP sera dès lors dans l’obligation de diviser ses troupes.
Le cadre général mis en place, nous pouvons nous intéresser aux armées de terre:
Ainsi remarque-t-on que les deux armées terrestres sont assez différentes l’une de l’autre. De cette manière, l’équipement algérien est dominé par un armement russe que ce soit au niveau des chars, de l’artillerie, de la défense anti-aérienne ou encore des missiles. A l’inverse, côté marocain, c’est davantage des armes occidentales, en particulier américaines, qui ont été privilégiées. Cette différence est également perceptible au niveau de l’organisation militaire elle-même, puisque d’une part l’Algérie s’est orientée vers un modèle soviétique organisé autour de divisions fortes mais rigides, tandis que les corps constituant la composante terrestre des FAR (Forces Armées Royales) sont similaires au système américain, à savoir un ensemble de brigades et d’unités autonomes de manière à laisser le plus de marge de manoeuvre possible aux troupes sur le terrain. Si nous nous attardons sur chaque type d’armement, il ressort que l’Algérie domine sur le plan des tanks en ne s’intéressant qu’aux chiffres. En effet, elle en possède dans ses stocks plus de 1200 contre 812 marocains. La moitié d’entre eux sont des T-90 de 3e génération, 600 autres des T-72 de deuxième génération. De l’autre côté, le Royaume chérifien compte 220 chars Abrams M1A1 et 50 chars T-90 tous deux de 3e génération, avec en plus 340 M-60 Patton et 40 T-72B de 2e génération. Il faut ajouter à cela les 162 chars Abrams M1A2 commandés aux Etats-Unis en 2017 pour 1,25 milliards de dollars. Mais au-delà des chiffres, le fait que l’armement américain soit considéré de façon générale comme étant supérieur aux équipements russes va dans le sens du Maroc et vient atténuer la supériorité numérique algérienne. Sur le plan de l’artillerie, là encore c’est l’ANP (l’Armée Nationale Populaire) qui domine statistiquement avec 1005 pièces d’artillerie contre 711 marocaines. Néanmoins la commande de 36 canons Caesar et de 18 Himars pourra permettre aux FAR d'équilibrer le rapport de forces, d’autant plus que ces deux équipements ont fait leur preuve sur le front ukrainien (11) et ont montré qu’ils sont supérieurs à leurs homologues russes. Au niveau des capacités de frappe en profondeur, les missiles Iskander donnent un avantage considérable à l’Algérie. La future acquisition par le Maroc de missiles 40 M-57 ATACMS venant avec les Himars devrait permettre de nuancer cette hégémonie, leur portée pouvant aller de 70 à 300 Km avec une précision de 9 m. De plus, la variante Iskander utilisée par l’ANP est une version destinée à l’export (Iskander-E) dont la portée est réduite par le fabricant russe, limitée à 280 Km contre un maximum théorique de 500 Km pour les autres versions. Enfin faut-il finir par mentionner les défenses anti-aériennes que possèdent les deux pays. L’armée algérienne dispose d’un équipement numériquement très important et d’une grande qualité, en particulier le système S-400 russe reconnu pour son efficacité. A l’opposé, le Maroc a depuis toujours connu une carence très aiguë en matière de défense contre les menaces aériennes (comme le souligne le rapport du FMES 2022 qui le met en avant parmi les défauts majeurs de ses forces armées). Toutefois le Royaume chérifien a su orienter ses achats d’armes vers cette composante de son armée terrestre. Ainsi, le système chinois FD-2000 est venu nourrir les stocks marocains. De même, des Barak-Mx israéliens extrêmement performants ont été commandés à l’Etat Hébreu pour un montant avoisinant les 500 millions d’euros. De quoi équilibrer la balance avec son adversaire de l’autre côté de la frontière ? Certainement, mais dans une certaine mesure seulement. La possible réception de systèmes Patriots, dont la commande est actuellement en négociation, reste nécessaire pour assurer un équilibre total entre les deux défenses anti-aériennes respectives, qui dans cette configuration serait clairement garantie.
En somme, il semble, au regard des éléments que nous avons soulevés, que l’état du rapport des forces entre les Forces Armées Royales et l’Armée Nationale Populaire soit plutôt équilibré, avec toutefois un léger avantage à l’est de l’oued Kiss. L’idée commune qu’au nombre algérien vient s’opposer la qualité marocaine, si elle est assez réductrice, peut être utilisée comme grille générale d’analyse, sans devoir en constituer l’essence. Les futures commandes et réceptions d’armement marocaines sont un possible game changer en faisant peser la balance davantage de son côté.
Si l’on s’attarde sur la dimension maritime, le constat est différent:
Nous pouvons remarquer que la marine algérienne est plus développée et menaçante que son homologue marocaine. Cette supériorité passe surtout et avant tout par la dimension sous-marine, de sorte que là où l’Algérie possède six sous-marins de classe Kilo dont quatre modernes ont été livrés entre 2011 et 2019, les forces maritimes chérifiennes ne disposent tout simplement pas d’un tel équipement. Cette absence de forces sous-marines est le principal talon d’achille de l’armée marocaine en général et l’un des axes qui demande le plus à être amélioré. De nombreuses éventuelles commandes ont été évoquées mais, de fait, aucune n’a abouti à une annonce officielle, ce qui constitue une grave inquiétude quant à la capacité des marocains à faire face aux forces adverses. Au niveau du reste des flottes, c’est l’Algérie encore une fois qui est devant, mais le rapport est bien plus équilibré. Ainsi, pour les frégates et corvettes, la marine de l’ANP possède davantage de navires. Mais ceux dont disposent le Maroc sont plus modernes et massifs (ce qui se reflète notamment à la lumière du tonnage, c'est-à-dire du poids d’un navire, qui est plus important côté marocain qu’algérien). Dans cette optique, l’atout majeur de la flotte chérifienne est sans aucun doute la frégate Mohammed VI, son navire amiral de la classe FREMM. Avec un poids total de 6000 tonnes, 142 mètres de longueur, 24 missiles Exocet et ASTER, des radars construits par THALES et des capacités de lutte anti-sous-marine, il s’agit avec ses deux homologues égyptiens (de la même classe) du navire le plus imposant en Afrique. Le Royaume peut aussi s’appuyer sur ses frégates Floréal et Sigma. De l’autre côté, si les 2 frégates Meko-200 sont d’une qualité qui reste globalement reconnue bien que moindre que les vaisseaux de la classe FREMM, les 3 navires de classe Koni ont un défaut considérable, celui de ne pas avoir à leur bord de missiles mer-mer. Aussi, si le match des corvettes semble être remporté par l’Algérie, il ne faut pas omettre le fait que les bateaux relevant de la classe Nanuchka sont entrés en service en 1982, et n’ont un tonnage ne s’élevant qu’à 660 tonnes, ce qui est insignifiant dans les marines modernes. Il en va de même pour ceux de la classe Djebel Chenoua dont le tonnage n’est que de 550 tonnes. Néanmoins, malgré cet équilibre apparent entre les moyens maritimes de surface des deux côtés, l’absence de flotte sous-marine marocaine que nous évoquions aboutit à un rapport de force sur mer à l’avantage de l’Algérie. De plus, selon l’ancien chef d’état major de la marine nationale française, l’amiral Pierre Vaudier (aujourd’hui major général des forces armées), la marine nationale populaire aurait la capacité d’instaurer une bulle de déni d’accès au niveau du détroit de gibraltar. Ce terme signifie qu’elle a les moyens d’empêcher toute force maritime de pénétrer dans une zone déterminée, ou du moins de fortement la gêner. Si cette mesure ne sera certainement pas, même en temps de guerre, mise en place ou du moins de manière stricte, du fait des crispations et des craintes qu’elle insufflerait chez puissances mondiales quant aux risques concernant la circulation des marchandises passant par le détroit, il n’en reste pas moins que cela témoigne de la supériorité de la flotte algérienne. Enfin, concernant le navire de débarquement amphibie de classe San Giorgio, il n’a pas, malgré sa taille et son tonnage impressionnants, vocation à jouer un rôle dans une bataille navale puisqu’il sert surtout à stocker des chars, des soldats et des hélicoptères de soutien pour mener des opérations mer-terre.
Ainsi, si au niveau terrestre les forces en présence restent relativement équilibrées, sur mer la balance penche plus côté algérien sans cependant se matérialiser en une suprématie. Qu’en est-il sur les airs ?
Comme avec les composantes terrestre et maritime des deux armées respectives, le constat est similaire pour l’aviation. L’Algérie dispose de plus d'appareils, d’autant plus que 50 avions de combat sont attendus ce qui porterait la flotte algérienne de 110 à 160 aéronefs. Côté marocain, en comptant les 25 F-16 Viper dont la livraison devrait commencer en 2026, le Royaume pourra compter sur un total de 98 avions de combat. De même, les 23 F-16 D sont en attente de modernisation vers le même standard. Les statistiques laissées de côté, qu’en est-il de la qualité du matériel en présence. Pour les FRA (Forces Royales Air), c’est surtout les F-16 qui sont amenés à jouer un rôle. En effet, d’une part, leur puissance est reconnue mondialement, en particulier celle des modèles Viper. D’autre part, les F-5, et dans une mesure moindre les Mirages F-1 modernisés, sont des chasseurs d’ancienne génération qui dès lors disposent d’une efficacité plus limitée (bien que la modernisation des avions français leur permet d’encore se montrer très utiles). L’aviation algérienne quant à elle a à sa disposition des aéronefs de conception russes. Si ces derniers sont tous modernes (sauf pour les Mig-25 qui sont en cours de remplacement) ils ont montré de multiples défaillances pendant le conflit ukrainien. En effet, l’une de leurs principales faiblesses est le manque d’un auto-guidage de missiles digne de ce nom, forçant les aviateurs à voler à basse altitude pour viser leurs cibles. Conséquence de ces manœuvres risquées, le nombre d’avions détruits par les forces ukrainiennes est très important, et bien souvent un simple système anti-missile portatif a montré qu’il pouvait faire ses preuves, en particulier les Stinger américains (dont dispose l’armée marocaine).
Dès lors, qui l’emporterait ? La question n’attend évidemment pas de réponse claire. Ce qui est sûr, c’est que les deux pays sortiraient détruits d’un tel affrontement, tant les deux armées sont comparables l’une à l’autre, ce qui rend l’hypothèse d’une victoire aisée de l’une sur son adversaire d’autant plus impensable.
Mais, pour revenir sur ce que nous disions au début de notre propos, il y a un des éléments allant dans le sens, non pas d’une désescalade, mais du maintien du statu-quo que nous n’avons pas évoqué. Celui que, très certainement, le gagnant, si tenté qu’il soit possible d’employer ce terme, serait probablement celui qui sera attaqué par l’autre camp, puisqu’il aura le soutien de la communauté internationale et que ses alliés seront beaucoup plus disposés à lui venir en aide au nom de la défense contre les agressions militaires. Cela serait en particulier visible pour le Maroc qui bénéficiera d’une aide américaine qui sera bien plus grande qu’un éventuel soutien militaire russe à l’Algérie. Aucune des deux capitales n’aurait donc quelque chose à gagner à déclarer la guerre à l’autre puisque cela équivaudrait à se tirer une balle dans le pied avant même de se mettre en joue.
En fin de compte, l’opposition entre les frères ennemis du Maghreb est surtout une question de fantasme, le spectre de la guerre n’étant pas d’actualité, que ce soit de par divers éléments géopolitiques, économiques, sociaux, politiques ou culturels, mais également au regard d’un rapport de forces équilibré qui est la principale leçon à tirer de l’analyse comparative que nous avons tenté d’exposer.
Pour conclure, prêtons donc notre plume à Baudelaire qui, dans Les Fleurs du Mal, écrit dans un renversement de valeur qui lui est si caractéristique “Race d'Abel dors, bois et mange: Dieu te sourit complaisamment/ Race de Caïn dans la fange, Rampe et meurs misérablement”. Vous comprendrez certainement que le rédacteur du présent article ne s’aventurera pas à dire qui du Maroc ou de l’Algérie est Abel ou Caïn, ce qui de toute façon n’entre pas dans le cadre des éléments abordés.
NOTES:
(1): la guerre des sables en 1963, la rupture des relations diplomatiques en 1976 après que l’Algérie ait reconnu l'auto-proclamée RASD comme un “Etat” indépendant, … : les relations maroco-algériennes ne sont pas l’exemple type d’une relation marquée par des rapports amicaux basés sur des impératifs de paix.
(2): le régime algérien citait pêle-mêle une soi-disante implication marocaine dans les incendies qui ont ravagé le pays durant l’été 2021 sans avancer de preuves allant dans ce sens, le soutien marocain et en particulier de l’ambassadeur du Royaume à l’ONU Omar Hilale à “l’autodétermination” de la Kabylie, ou encore l’espionnage de hauts politiques algériens par le biais du logiciel espion israélien Pegasus. Le ministre algérien des affaires étrangères évoque même des fautes historiques marocaines comme la guerre des sables en 1963. Selon lui, « Le Maroc est devenu une base arrière de planification d’une série d’agressions dangereuses contre l’Algérie ».
(3):
(4): le porte-parole du département d’Etat américain, Matthew Miller, a affirmé le 19 juillet 2023 que la position adoptée en décembre 2020 “n’a pas changé”.
(5): depuis la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara, le Maroc se veut davantage décomplexé sur la scène internationale et s’autorise à être plus agressif: tensions avec l’Espagne et l’Allemagne qui ne se sont terminées qu’avec la reconnaissance du plan d’autonomie marocain comme étant “la base la plus sérieuse et crédible” pour résoudre le conflit au Sahara, rapports tendus avec la France pour la pousser à évoluer sur sa position concernant le Sahara, lobbyisme auprès de capitales africaines et arabes pour ouvrir des consulats à Laâyoune et Dakhla …
(6): Selon Camille Sari "Les exportations de gaz et de pétrole représentent un peu plus de 98% des exportations algériennes. Les revenus des exportations constituent un peu plus de 60% des recettes budgétaires de l'Etat algérien.". Les économistes du FMI estiment par ailleurs que, pour équilibrer le budget algérien, un cours du baril dépassant les 142 $ est nécessaire, alors que les prix entre 2020 et 2021 étaient bien loin de cet équilibre.
(7): d’une part, de nombreux Etats ont, soit, reconnu la marocanité du Sahara, soit ouvert des consulats à Laâyoune et Dakhla ou encore soutenu le plan d’autonomie marocain comme la seule base crédible pour résoudre le conflit. D’autre part, plusieurs pays ont rompu leurs relations avec la RASD.
(8): L’article 31 de la constitution algérienne déclare dans son alinéa 3 “L'Algérie peut, dans le cadre du respect des principes et objectifs des Nations Unies, de l'Union Africaine et de la Ligue des États Arabes, participer au maintien de la paix.”. L’auto-proclamée “RASD” étant reconnue comme membre de l’UA, une réclamation du front polisario pour contrer les forces marocaines pourrait être utilisée comme un justificatif afin de permettre à l’ANP d’intervenir dans le Sahara.
(9): Le Maroc a souvent été la cible d’invasions étrangères. Il a dans ce cadre misé sur les chaînes de montagne de l’Atlas pour les repousser, par exemple lors des guerres maroco-ottomanes.
Bibliographie:
-FMES édition 2022
-Rapport de la FMES
-Le Desk, “Maroc-Algérie: qui prendrait l’avantage en cas de guerre ?”:
https://ledesk.ma/datadesk/maroc-algerie-qui-prendrait-lavantage-en-cas-de-guerre/
-Le Desk, “Washington approuve un contrat militaire d’1,26 milliards de dollars avec le Maroc:
https://ledesk.ma/2018/11/30/washington-approuve-un-contrat-militaire-d126-mm-avec-le-maroc/
-Le Desk, “Washington confirme la future acquisition des lances-roquettes HIMARS par le Maroc”:
-Global Fireforce 2023:
https://www.globalfirepower.com/country-military-strength-detail.php?country_id=morocco
https://www.globalfirepower.com/country-military-strength-detail.php?country_id=algeria
-Jeune afrique, série Maroc/ Algérie:
[Série] Maroc-Algérie : la montée des périls (1/4): https://www.jeuneafrique.com/1120061/politique/algerie-maroc-demain-la-guerre/
[Série] Maroc-Algérie: les forces en présence (2/4): https://www.jeuneafrique.com/1120271/politique/maroc-algerie-la-maitrise-du-ciel/
-Zone Militaire Opex360.com, “L’Algérie aurait les moyens d’installer une bulle de déni d’accès dans le détroit de Gibraltar”:
-Le Point, “Pourquoi l’Algérie rompt ses relations diplomatiques avec le Maroc”
-TV5 Monde, “
-Constitution algérienne de 2020:
https://mjp.univ-perp.fr/constit/dz2020.htm