L’islam dans la politique tunisienne et la transformation du paysage politique.
Auteur : Anas El Bouhdidi.
53 ans, 2 présidents. Au vu des turbulences politiques et parlementaires que vit la Tunisie depuis 2011, il est aujourd’hui extraordinaire d’imaginer que ce pays ait pu connaître si peu de chef d'État durant une si longue période. Habib Bourguiba, Zine El Abidine Ben Ali, un régime présidentiel fort, des tensions et des luttes de successions certes, mais une population qui mangeait relativement jusqu’à sa fin. La réputation d’un peuple animé d’une flamme de liberté, d’égalité et de démocratie n’a été acquise par le peuple tunisien que depuis 2011, année du début du printemps arabe, dont la Tunisie est l’initiatrice. Ce mouvement a ete marque dans tous les pays arabes par l’emergence de l’instrumentalisation de l’islam, en tant que gage d’integrite, face a la corruption des systemes etablis. La Tunisie n’est ainsi évidemment pas une exception, au contraire, puisqu’en a émergé une des sociétés les plus polarisé du monde arabe, marqué par un conservatisme particulièrement fort. Comment le conservatisme religieux a il en partie forgé le paysage politique tunisien post 2011 ?
Nous commencerons par un gros plan sur ce qui est communément appelé, et ce souvent à tort, “l’islamisme”, qui sert souvent à définir les populismes, et dont la non compréhension entraîne des simplifications de situations complexes. Puis nous verrons en quoi le contexte des printemps arabes était un environnement parfait pour ce type d'idéologie d'évoluer, et de voir le contraste entre sa théorisation hors du pouvoir, et son application une fois au pouvoir. Enfin, nous verrons en quoi la constitution de 2021 est intimement liée à l’enjeu de l’islamisme dans le pays.
En France, l’islamisme est d’abord utilisé par Voltaire en tant que synonyme de “mahométisme”, pour désigner la religion des musulmans. L’utilisation du suffixe “isme” devant le nom d’une religion telle que judaïsme ou christiannisme a pris une tournure différente pour l’slam vu par les français, puisque ce terme est aujourd’hui un terme qui englobe le radicalisme religieux d’une manière globale. Or la frontière entre radicalisme et pratique de la religion est subjective, et plus une société est religieuse, plus cette frontière s'éloigne. Ainsi, pour une société laïque ou l'athéisme est très présente, certaines opinions comme l’adoption de la sharia dans un pays comme “radicale”, tandis qu’elle sera vue comme normale par d’autres. Cela se manifeste par exemple au Maroc, vu par les plus liberale comme un pays ou a liberte individuelle est confisque par un “commandeur des croyants” au nom de l’islam, et par les plus conservateur comme un pays en proie aux derives occidentales, que certains pays aimeraient bien placer leur influence au nom de certaines ecoles de pensee religieuse comme le wahhabisme.
Il est egalement interressant de noter que c’est un concept avant tout francais, puisqu’il est complique de traduire “islamisme” en arabe, l’adjectif “islamique” et le
nom “islamisme” etant englobe dans un seul mot polyvalent, moins utilise pour qualifier les redicalismes religieux, puisque hormis les laics, tous les politiques se qualifient a un certain degres d’islamique ou d’islamiste, selon les traductions. En Tunisie, ce courant est politiquement représenté par le parti “ Ennahda”, littéralement “ renaissance”, fondé par le professeur Ghannouchi, actuel président du parti, Abdelfattah Mourou et Hmida Ennaifer. Ce parti n’est pas anodin, puisqu’il est d’abord cree dans la mouvance de la revolution islamiqe iranienne, ideologiquement lie aux freres musulmans et a longtemps etait illegal, notamment a cause de son implication dans des violences, et tentative d’infiltration dans l’armee et la police dans le but de realiser un coup d’etat, Ghannouchi etait destine a la peine de mort par Habib Bourguiba, avant d’etre “sauve” par son succcesseur Ben Ali. Il a longtemps était en exil, comme à Khartoum ou à Londres .
Mohammed Abid Jabiri, philosophe arabe, expliquait dans son livre « la pensée politique arabe » العربي السياسي العقل la relation indélébile entre populisme et extrémisme, et que ce genre d’idéologie ne pouvait être appréciée que dans des contextes de non compréhension, de panique et surtout d’irrationalisme. Si l’irrationalité des idées politiques de Nahda est un sujet à débat, il est indéniable que la Tunisie ne fait pas office d’exception, puisque tous les pays arabes en temps de crises et de colère ont vu des formes de radicalisme religieux se développer, que ce soit au Maroc avec le PJD, en Egypte avec l’arrivée des frères musulmans au pouvoir ou en Syrie et en Irak avec l’enrôlement grandissant des jeunes dans des
cellules terroristes. Ce phénomène n’est même pas propre au monde arabe, puisque même les pays européens à la sortie de la crise sanitaire et économique de 2020, ont vu leurs partis d’extrême droite faire des scores records, que ce soit en France ou en Italie par exemple. Dans un article sur le sujet, Radio Suisse analysait le sujet de la sorte :
« La rhétorique s'appuie sur la désignation de responsables, de coupables d'une situation de crise présumée.
L'articulation est binaire, elle dresse le peuple contre ceux qui auraient conduit le pays dans la crise économique et mis en danger son identité: les petits contre les gros, les innocents contre les coupables. » l’Islam devient ainsi une matière de choix pour ces populistes, puisque dans un monde encore très conservateur comme le monde arabe, la religion parle au citoyen moyen, et il devient très facile de dresser un tableau lorsque tout va mal tel que « les traîtres de Dieu qui ont mené le pays à l’abîmes » et « les hommes de dieu incorruptibles qui sont venus sauver le pays ». Rajouter à cela la glorification d’un passé musulman glorieux et le désespoir du peuple, notamment tunisien en temps de crise, le contexte des printemps arabes était effectivement un écosystème parfait pour que les discours politiques mariés aux religieux gagnent en popularité.
En 2011, c’est la lune de miel. Ghannouchi, chef d' Ennahda, qui était exilé à Londres, est accueilli par des milliers de tunisiens à l’aéroport de Carthage. Ils remportent largement les premières élections libres de 2011, et voient 2 premiers ministres sortir de leurs rangs. « Le parti regroupe les classes populaires issues des régions les plus pauvres. Il avait dans ses rangs aussi de nombreux gens issus de professions intellectuelles intermédiaires comme les instituteurs par exemple. Et le
mouvement avait surtout un réseau resserré d’affidés sur le terrain», note Louis-Simon Boileau, politiste spécialiste du mouvement d'inspiration islamiste. Cependant, un phénomène que l’on observe dans beaucoup de pays, est le déclin des partis populistes une fois arrivés au pouvoir. En Italie, c’est le mouvement 5 étoiles qui a fait état de ce cycle, puisque après avoir largement devancé les autres partis politiques en 2018, en se vendant anti-système et anti -corruption, il a entamé un déclin à partir de 2019 après avoir formé un gouvernement de coalition sous l’indépendant Giuseppe Conte. Il y a une certaine logique à cela. Un parti, aussi anti-système soit-il, une fois arrivé au pouvoir, devient lui-même le système Ennahda a en quelque sorte vécu le même sort. Il n’a plus le monopole du conservatisme religieux, avec la formation de Kamara qui a récupéré l’aile dure d'Ennahdha, et a aussi perdu l’argument de l'austérité morale, devenue plus associée à l’actuel président Kais Said.
Aujourd’hui, après un long déclin, les discours de Ennahda, afin de rester présents dans le paysage politique tunisien, se sont volontairement modérés, ce qui leur a permis d’influencer la nouvelle constitution, ce qui fait que celle-ci manifeste un certain conservatisme, comme l’interdiction du blasphème par exemple. On a vu cela, bien qu’avant la réforme constitutionnelle de Kais Said, avec le procès de Emna Chargui, qui avait détourné une sourate du coran dans un but humoristique.
En conclusion, nous pouvons dire que comme beaucoup de discours qui utilisent des stratégies populistes, et ce pas exclusivement dans le monde arabe, ces derniers connaissent des cycles, marqués par la transition entre opposition au système et membre du système. L’opposition de Ennahda a sculpté une partie des revendications du printemps arabes tunisiens, et leur modération politique une fois au pouvoir, et dans le but d’y rester, a dessiné une partie de la constitution actuelle
de la Tunisie, et du cadre dans lequel Kais Said devra gouverner tant qu’il est au pouvoir.
Sources :
- Abed Al Jabri, Mohammed. Introduction à la critique de la raison arabe, Edition La découverte/ Institut du monde arabe
- Radio Télévision Suisse. (2019, 9 décembre). Quelques principes du populisme. rts.ch. https://www.rts.ch/decouverte/monde-et-societe/economie-et-politique/le-populisme/8588414 -quelques-principes-du-populisme.html
- Nechi, O. (2021, août 26). En Tunisie, le parti islamique Ennahda très fragilisé. La Croix. https://www.la-croix.com/Monde/En-Tunisie-parti-islamique-Ennahda-tres-fragilise-2021-08- 26-1201172380
- Leduc, S. (2020, 2 juillet). Procès d’une blogueuse pour blasphème : un test pour la liberté d’expression en Tunisie. France 24.
- https://www.france24.com/fr/20200702-proc%C3%A8s-d-une-blogueuse-pour-blasph%C3% A8me-un-test-pour-la-libert%C3%A9-d-expression-en-tunisie
- Desorgues, P. (2021, 24 décembre). Tunisie : Ennahdha, les racines du déclin. TV5MONDE. https://information.tv5monde.com/afrique/tunisie-ennahdha-les-racines-du-declin-347235
- http://www.ennahdha.tn/
- Kapitalis, W. (2023, 13 janvier). Ajmi Lourimi : « Ennahdha ne cherche pas à revenir au pouvoir en Tunisie » . Kapitalis.
https://kapitalis.com/tunisie/2023/01/13/ajmi-lourimi-ennahdha-ne-cherche-pas-a-revenir-au pouvoir-en-tunisie/
- ouest-france.fr. (s. d.).
https://www.ouest-france.fr/monde/tunisie/entretien-en-quoi-la-nouvelle-constitution-en-tunis ie-est-elle-un-tournant-pour-le-pays-3d3c9c72-0cea-11ed-adc0-0d21530731c8
- A., & A. (2016, 22 mai). Tunisie : le mouvement islamiste Ennahda acte sa mue en « parti civil » . Médias24.
https://medias24.com/2016/05/22/tunisie-le-mouvement-islamiste-ennahda-acte-sa-mue-en-pa rti-civil/